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“Sparta” d’Ulrich Seidl




Film austro-germano-français d’Ulrich Seidl (2022), avec Georg Friedrich, Florentina Elena Pop, Hans-Michael Rehberg, Marius Ignat, Octavian-Nicolae Cocis, Ecaterina Gramaticu, Gianni Gramaticu… 1h39. Sortie le 31 mai 2023.



Georg Friedrich



Le cinéaste autrichien Ulrich Seidl n’est jamais tout à fait là où on l’attend, mais d’un film à l’autre, il affirme une vision assez noire de notre monde, sans se montrer particulièrement charitable pour ses protagonistes. Il s’attache dans Sparta à un quadra allemand (Georg Friedrich que le cinéaste avait déjà dirigé dans Import/Export, dès 2007) qui a tout quitté pour s’installer dans un village de Roumanie où il anime une école de judo à l’usage des jeunes garçons du coin. L’emprise qu’il exerce peu à peu sur ses élèves suscite des réactions de méfiance et de suspicion parmi les autochtones qui voient leurs enfants leur échapper peu à peu, sous l’emprise de ce mystérieux étranger. Seidl ne se fait que peu d’illusions sur l’humanité, ainsi que l’attestent tous ses films. Il l’exprime toutefois à des degrés divers à travers des personnages inadaptés à la société contemporaine dont les comportements semblent parfois extravagants et en tout cas échappent aux normes en vigueur. Ewald, le personnage principal de Sparta, n'est autre en l’occurrence que le frère cadet de Richie Bravo, le crooner gigolo de son opus précédent, Rimini, ce qui contribue à instaurer un écho évident entre les deux films dont les contextes apparaissent par ailleurs radicalement opposés l’un à l’autre. Avec, en filigrane de Sparta, le spectre d’un tabou absolu qui n’est que suggéré mais omniprésent : la pédophilie.



Georg Friedrich et Octavian-Nicolae Cocis



Là où Richie Bravo arrondissait ses fins de mois en accordant ses faveurs à des vieilles dames indignes, parfois même en présence de leur mari impuissant, Ewald éprouve des sentiments qu’il a longtemps refoulés. Jusqu’au moment où sa compagne l’a quitté et où il a décidé de rompre avec son passé en s’aventurant en plein cœur d’un pays inconnu. Le talent de Seidl consiste à suggérer combien il est assailli de pensées et de pulsions qui le révèlent à lui-même, sans pour autant jamais passer à l’acte. Ce personnage de gourou qui règne sur ses jeunes disciples avec l’autorité d’un empereur romain, le metteur en scène le décrit comme une réincarnation du joueur de flûte de Hamelin entraînant les rats puis les enfants de ses débiteurs vers l’abîme. La mise en scène, celle de Seidl comme celle d’Ewald, joue aussi sur les conventions du péplum et son décorum infantilisé pour érotiser des joutes au fond assez innocentes, en offrant à la communauté villageoise un spectacle difficile à décrypter sorti de son contexte, mais propice à désigner un bouc émissaire, même si le film s’achève à peu près là où débutait le fameux Scènes de chasse en Bavière (1969) de Peter Fleischmann. On retrouve là l’un des thèmes de prédilection du cinéaste, qui affleurait déjà de sa trilogie Paradis, à travers la critique de la marchandisation des plus démunis par une nouvelle catégorie de colons, que ce soit par le sexe tarifé ou une emprise morale. Sparta est une étude de mœurs corrosive qui dérange, mais ne peut laisser indifférent, tant elle en dit sur l’état de délabrement d‘une société où tout s’achète pour les riches et tout se vend pour les pauvres. Avec une morale à géométrie variable.

Jean-Philippe Guerand







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