Film norvégien de Kristoffer Borgli (2022), avec Kristine Kujath Thorp, Eirik Sæther, Fanny Vaager, Fredrik Stenberg Ditlev-Simons, Sarah Francesca Brænne, Ingrid Vollan, Steinar Klouman Hallert, Andrea Braein Hovig, Frida Natland, Guri Glans… 1h37. Sortie le 31 mai 2023.
Eirik Sæther et Kristine Kujath Thorp
La notoriété est devenue aujourd’hui le Graal ultime, un objectif à atteindre coûte que coûte pour celles et ceux qui ne se sont pas satisfait de l’antienne édictée par Andy Warhol en 1968 dans le catalogue d’une exposition, selon laquelle « à l’avenir, chacun aura droit à quinze minutes de célébrité mondiale ». La téléréalité puis les réseaux sociaux ont amplifié considérablement ce phénomène en l’érigeant pour certains au rang de standard de vie. Sick of Myself interroge un couple dont l’homme est une vedette que sa compagne veut rejoindre au firmament de la gloire. Plutôt que de s’imposer par un talent illusoire auquel elle ne croit pas et dont la nature ne l’a pas gratifié, elle trouve un moyen alternatif qui consiste à se prétendre atteinte d’une maladie rare, sans réaliser qu’elle est désormais prisonnière de son mensonge et va devoir l’assumer jusqu’à son terme, sous peine de se voir stigmatisée et, pire encore… de retomber dans l’anonymat qui constitue la plus infâmante des pénitences. D’un phénomène de société artificiel mais mondialisé, le réalisateur Kristoffer Borgli tire un film étrange qu’on pourrait qualifier d’anti-comédie romantique, tant il retourne les clichés et tord le cou aux poncifs en usage. Sous la férocité de l’humour, se nichent deux caractères profondément haïssables, tant ils se délectent de leur narcissisme toxique et incompatible. Comme on le dit parfois dans les westerns, « This Town ain’t big Enough for the Both of Us » (littéralement, « Cette ville n'est pas assez grande pour nous deux »).
Kristine Kujath Thorp
Sick of Myself est indissociable de la personnalité de son interprète principale féminine, Kristine Kujath Thorp (découverte il y a quelques mois dans Ninjababy), laquelle se livre à un véritable tour de force galvanisé par des transformations physiques spectaculaires, soulignant l’absurdité exponentielle de la situation, notamment à travers le maquillage. Au point qu’on serait tenté de qualifier cette étude de mœurs de comédie d’horreur, tant la mise en scène pousse loin le curseur de l’humour noir. Ce film norvégien évoque par son nihilisme et son sens du grotesque le cinéma du suédois Ruben Östlund en moins stylisé, mais sans doute aussi en plus profond par le regard qu’il porte sur une humanité en manque d’idoles qui en est venue à jeter son dévolu sur des divinités cathodiques sinon virtuelles dont la notoriété repose le plus souvent sur un néant abyssal. Un monde factice de faux-semblants que stigmatise avec un humour souvent grinçant cette comédie des apparences ancrée dans une modernité qui fonctionne comme un théâtre d’ombres. Ce jeu de massacre au féminin singulier renvoie une image bien peu flatteuse d’un monde sans pitié qui est parvenu bien souvent à substituer à l’être le paraître, quitte à se laisser aveugler par sa propre vanité. Le tout sans la moindre magnanimité, mais avec un humour caustique souvent irrésistible. Tout ça pour ça !
Jean-Philippe Guerand
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