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“Showing Up” de Kelly Reichardt



Film américain de Kelly Reichardt (2022), avec Michelle Williams, Hong Chau, Maryann Plunkett, John Magaro, André Benjamin, Judd Hirsch, Amanda Plummer, Matt Malloy, Heather Lawless, James LeGros… 1h48. Sortie le 3 mai 2023.



Michelle Williams



Deux amies artistes s’attellent au vernissage imminent de leur prochaine exposition, chacune avec sa sensibilité intime et ses attentes secrètes. L’occasion pour la cinéaste américaine Kelly Reichardt de confronter son interprète fétiche, Michelle Williams, à la comédienne d’origine thaïlandaise Hong Chau, nommée cette année à l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour sa composition dans The Whale de Darren Aronofsky. Présenté l’an dernier en compétition à Cannes où se réalisatrice s’est vue remettre le prestigieux Carrosse d’or, Showing Up est la chronique délicate d’un moment unique au cours duquel l’artiste va exposer au public des créations conçues dans la solitude et parfois le doute voire la douleur. La cinéaste dit là en quelque sorte l’indicible et réussit à capter des moments d’une rare intensité où les gestes se substituent avantageusement aux dialogues. Elle choisit en outre de confronter deux créatrices qui ne partagent guère plus que leur passion pour leur discipline, mais ne nourrissent pas les mêmes attentes de cette soudaine mise en lumière. Fidèle à sa conception du cinéma, Kelly Reichardt accompagnée de son coscénariste Jonathan Raymond a commencé par visiter des ateliers d’artistes pour s’imprégner de leur atmosphère et nourrir son histoire de ses impressions. Elle a ainsi tourné deux courts métrages documentaires pour mieux appréhender cette démarche profondément intime en fixant son choix sur Michelle Segre dont l’atelier est installé dans le Bronx, puis en rendant visite à son amie Jessica Hutchins, en Californie. Deux personnalités qui ont nourri les personnages de Showing Up.



André Benjamin et Michelle Williams



La particularité du film de Kelly Reichardt réside dans son parti pris de suivre la création artistique au quotidien, en décrivant le plus précisément possible ses affres, ses contraintes et ses désillusions. Une démarche qui évoque celle de Jacques Rivette dans La belle noiseuse (1991), mais aussi celle de Maurice Pialat dans Van Gogh (1991), lequel avait débuté sa carrière en tant que peintre et connaissait intimement l’état d’esprit qui préside à ce type d’acte créatif. Showing Up se garde bien de toute exaltation et décrit ses protagonistes comme des êtres vulnérables pétris de doutes et d’angoisse. En contrepoint de la vulnérabilité que met en évidence l’imminence de l’exposition, elle ajoute en outre un élément plus intime : la présence au vernissage de la famille de l’artiste avec laquelle elle éprouve tant de mal à communiquer par la parole. Sur le plan formel, la réalisatrice fidèle au format carré a opté pour un élargissement panoramique du cadre qui convient à son propos et lui donne une autre dimension, au propre comme au figuré. De la même façon, elle joue de sa complicité avec Michelle Williams qui est son interprète pour la quatrième fois et a incarné depuis la mère volage de Steven Spielberg dans The Fabelmans avec un mimétisme étonnant et déjà Judd Hirsch pour partenaire. Il émane de ce film à fleur de peau une authenticité miraculeuse qui illustre la fameuse antienne de Jean-Luc Godard dans Le petit soldat (1963) selon laquelle « le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde ».

Jean-Philippe Guerand







André Benjamin et Hong Chau

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