Accéder au contenu principal

“Nos cérémonies” de Simon Rieth



Film français de Simon Rieth (2022), avec Simon Baur, Raymond Baur, Maïra Villena, Gregory Lu, Benjamin Lu… 1h44. Sortie le 3 mai 2023.



Simon et Raymond Baur



Deux frères savourent leur existence d’enfant et d’adolescent dans la torpeur estivale de leurs vacances à Royan. Une complicité fusionnelle où toute intrusion venue de l’extérieur ne peut s’accommoder que d’une acceptation unanime, comme s’ils se protégeaient mutuellement. Un jour, pourtant, un de leurs jeux rituels vient à mal tourner, remettant en cause l’équilibre précaire qui les liait… Révélé l’an dernier par la Semaine de la critique, le premier long métrage de Simon Rieth s’inscrit dans la continuité logique de deux de ses brefs opus précédents, Feu mes frères (2016) et Sans amour (2019). On y retrouve la fascination de ce réalisateur de 28 ans pour cette période charnière de la vie qui sépare l’adolescence de l’âge adulte, ainsi qu’une approche singulière du fantastique comme imbriqué de façon subliminale au cœur même de la quotidienneté la plus prosaïque. Avec pour point de départ… la tragédie Britannicus de Racine. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, écrivait en substance Antoine Lavoisier dans son Traité élémentaire de chimie, l’année même où éclatait la Révolution Française. Simon Rieth a choisi pour incarner ces frères deux champions d’arts martiaux qu’il utilise en brouillant les pistes, l’aîné des interprètes incarnant le cadet des personnages et vice-versa. Une coquetterie accentuée par leur type asiatique, nourrissant la confusion dans l’esprit du spectateur confronté à ce rapport trouble qui s’épanouit dans une sorte d’alchimie fusionnelle exclusive en donnant la sensation d’assister à un rituel venu d’un lointain ailleurs.



Simon Baur, Maïra Villena et Raymond Baur



Nos cérémonies est un film qui ne s’inscrit résolument dans aucune école cinématographique identifiée. Sinon peut-être dans une lointaine tradition en pointillés qui va de Jean Cocteau à Bertrand Mandico en s’écartant de la réalité à petits pas. Avec cette même fascination pour les corps et ce glissement progressif vers une autre dimension qui emprunte à la fois à la tradition surréaliste et au registre expérimental. Une impression qui doit beaucoup à l’usage prononcé du plan-séquence, l’aisance des comédiens amateurs étant l’aboutissement de sept mois de répétitions et de réécriture, mais aussi à l’association des images avec des plages de silence et des morceaux de Witch House composés par le musicien russe Suicidewave en privilégiant les basses. D’où l’impact sensoriel de ce film qui distille une sensation pénétrante de trouble en jouant sans insister sur certaines caractéristiques physiologiques de ses interprètes : alopécie pour l’un, fente labio-palatine à la lèvre supérieure pour une autre. Nos cérémonies s’impose comme une authentique invitation au voyage qui révèle en Simon Rieth un visionnaire hors du commun par sa capacité à faire dériver les situations les plus quotidiennes vers un onirisme cérébral. Ce film entrebâille ainsi par sa liberté et sa singularité une fenêtre vers un ailleurs à la puissance fascinatoire peu commune. Quitte à instaurer parfois aussi un malaise qui ne doit absolument rien au voyeurisme, mais semble dicté mentalement par un imaginaire foisonnant de tabous. L’expérience vaut la peine d’être vécue, même si elle ne laisse pas tout à fait indemne.

Jean-Philippe Guerand








Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Berlinale Jour 2 - Mardi 2 mars 2021

Mr Bachmann and His Class (Herr Bachmann und seine Klasse) de Maria Speth (Compétition) Documentaire. 3h37 Dieter Bachmann est enseignant à l’école polyvalente Georg-Büchner de Stadtallendorf, dans le Nord de la province de Hesse. Au premier abord, il ressemble à un rocker sur le retour et mêle d’ailleurs à ses cours la pratique des instruments de musique qui l’entourent. Ses élèves sont pour l’essentiel des enfants de la classe moyenne en majorité issus de l’immigration. Une particularité qu’il prend constamment en compte pour les aider à s’intégrer dans cette Allemagne devenue une tour de Babel, sans perdre pour autant de vue leurs racines. La pédagogie exceptionnelle de ce professeur repose sur son absence totale de préjugés et sa foi en une jeunesse dont il apprécie et célèbre la diversité. Le documentaire fleuve que lui a consacré la réalisatrice allemande Maria Speth se déroule le temps d’une année scolaire au cours de laquelle le prof et ses élèves vont apprendre à se connaître...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...