Derb Film iranien d’Hadi Mohaghegh (2021), avec Hadi Mohaghegh, Mohammad Eghbali… 1h30. Sortie le 24 mai 2023.
Hadi Mohaghegh, à droite
Le cinéma iranien n’est jamais aussi inspiré que lorsqu’il applique à l’étude de mœurs un traitement minimaliste. Hadi Mohaghegh appartient à cette école dont le maître incontesté était indéniablement Abbas Kiarostami, mais aussi le trop méconnu Majid Majidi qui a à son actif des films aussi magnifiques que Les enfants du ciel (1997), La couleur du paradis (1999), Le chant des moineaux et Les enfants du soleil (2020). Des artistes subtils et universels qui ont décidé de tirer un trait sur le contexte politique et social iranien, au profit d’une observation purement humaine. Mohaghegh signe aujourd’hui son quatrième opus après Bardou (2013), Mamiroo (2015) et Iro (2018). Une sorte de chronique de l’absurdité dans lequel un homme isolé au beau milieu d’une plaine est victime d’une panne de courant qui interrompt le fonctionnement du lit anti-escarres de son fils malade. Constatant qu’une pièce est manquante, le fonctionnaire envoyé par la compagnie d’électricité part à sa recherche au cours d’un véritable parcours du combattant où le système D apparaît comme un véritable mode de fonctionnement au sein d’un pays totalement désorganisé dans lequel les initiatives individuelles suppléent aux carences d’une bureaucratie défaillante jusqu'à l'absurdité dès lors qu’il s’agit de prendre des initiatives concrètes en résolvant des problèmes élémentaires.
Hadi Mohaghegh, à droite
À partir d’un scénario d’une simplicité assumé qui recourt à un minimum de dialogue, la mise en scène s’appuie sur une retenue exemplaire qui renvoie aux plus grandes œuvres du cinéma muet, un traitement graphique de l’image qui passe par des cadres épurés et des mouvements de caméra réduits à l’extrême. L’odeur du vent développe à l’envi une situation absurde avec un minimum d’effets et réussit à pousser un postulat a priori dramatique sinon tragique vers l’absurde, à la façon de ces pince-sans-rire scandinaves que sont, sur des registres et à des titres divers le Finlandais Aki Kaurismäki (L’homme sans passé), le Suédois Roy Andersson (Nous, les vivants) et le norvégien Bent Hamer (1001 grammes), mais aussi l’école géorgienne dont le chef de file fut longtemps Otar Iosseliani (La chasse aux papillons). C’est parce qu’il opte pour une simplicité maximum et tient lui-même le rôle principal de son film que Hadi Mohaghegh parvient à semer son grain de sel en poursuivant sa route à l’écart des radars du pouvoir des Mollahs. Il énonce pourtant quelques vérités fondamentales sur la situation d’un pays gangrené par la corruption (la pièce manquante a été volée) où le fait le plus anodin peut engendrer des conséquences délirantes sous prétexte que comme dans beaucoup d’états totalitaires, c’est le poids de l’administration qui entrave le bon fonctionnement de la société en rendant compliqué tout ce qui est simple. Mieux vaut au fond en rire et cette chronique du quotidien excelle dans cet exercice délicat en s’aventurant plus loin qu’il ne pourrait y paraître de prime abord, sur le registre de l’étude de mœurs corrosive et narquoise. Ce film est un petit bijou.
Jean-Philippe Guerand
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