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“L’île rouge” de Robin Campillo



Film franco-belge de Robin Campillo (2023), avec Nadia Tereszkiewicz, Quim Gutiérrez, Charlie Vauselle, Sophie Guillemin, Amely Rakotoarimalala, David Serero, Hugues Delamarlière, Luna Carpiaux… 1h57. Sortie le 31 mai 2023.



Charlie Vauselle



Au début des années 70, sur une base de Madagascar où l’armée française s’est attardée, sous la pression grandissante des indépendantistes instrumentalisés par les grandes puissances, les militaires et leurs familles s’apprêtent à quitter définitivement ce territoire pourtant officiellement indépendant depuis une douzaine d’années qui couvre un territoire plus vaste que l’Hexagone et dont la jeunesse aspire à prendre en main les rênes de sa destinée, sous l’influence de certains leaders indépendantistes africains et dans le sillage d’une euphorie post-soixante-huitarde trompeuse. Témoin protégé de ces conversations entre adultes dont le sens profond lui échappe, un petit garçon se réfugie dans sa passion pour Fantômette et s’identifie aux exploits de la jeune justicière pour éviter de regarder la vérité en face… Dès les premières images de L’île rouge, il apparaît comme une évidence que Robin Campillo ne fait qu’un avec ce gamin bourré d’imagination et confronté aux cachotteries et autres mensonges des adultes dont il a du mal à décrypter les agissements. Un regard fort auquel son innocence assumée ajoute un précieux supplément d’humanité, même si son postulat contraint cette chronique impressionniste circonscrite dans une arrière-cour à changer de point de vue à la fin du film pour adopter enfin celui des autochtones afin de mieux témoigner de la confusion politique ambiante.



David Serero et Sophie Guillemin



C’est la première fois que Campillo, par ailleurs scénariste pour son ami Laurent Cantet, collabore avec Gilles Marchand dont il avait monté le film comme réalisateur Qui a tué Bambi ? et qui a obtenu cette année le César pour son adaptation de La nuit du 12 de Dominik Moll. Le réalisateur de 120 battements par minute s’attache à décrire un monde en sursis dans lequel les échos du monde ne parviennent qu’étouffés, à travers un cocon de coopérants qu’il montre toujours en-dehors de leur activités professionnelles, rassemblés pour des événements informels, loin du feu de l’action. Ce regard à hauteur d’enfant ne montre en fait que l’envers d’une situation qui n’apparaîtra qu’à la fin. Comme si l’on passait brusquement d’un rêve rassurant à une réalité inquiétante. Avec cette autre rupture symbolique qui consiste à troquer l’usage de la langue française pour celui du malgache, mais aussi à changer radicalement de point de vue. Comme pour mieux briser le miroir et traverser les apparences. Par son cadre et sa construction scénaristique audacieuse, L’île rouge nous entraîne dans un paradis perdu qui coïncide avec la fin de l’innocence pour un enfant que son imagination a longtemps protégé de la trahison des adultes. Un constat doux-amer, mais sans appel.

Jean-Philippe Guerand








Nadia Tereszkiewicz et Charlie Vauselle

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