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“L’amour et les forêts” de Valérie Donzelli



Film français de Valérie Donzelli (2023), avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond, Romane Bohringer, Virginie Ledoyen, Arthur Thunin, Zoé Lenoir… 1h45. Sortie le 24 mai 2023.



Melvil Poupaud et Virginie Efira



Lorsque Blanche rencontre Greg, elle n’a aucun doute sur le fait qu’il s’agit de l’homme de sa vie. Alors quand ce prince charmant un rien ténébreux lui propose de partir vivre loin de sa famille, et notamment de sa sœur jumelle, dans une ville de province isolée, elle accepte sans hésiter, mais sans se douter qu’elle est désormais prise au piège. Son compagnon renfermé révèle peu à peu sa véritable nature en la coupant du monde et en manifestant une jalousie maladive à son égard qui passe par des accès de violence aussi démesurés qu’inattendus… Valérie Donzelli a naguère signé en tandem avec son ex-compagnon Jérémie Elkaïm La guerre est déclarée (2011), un deuxième film conçu comme un exorcisme expiatoire nécessaire. Et puis, au fil de la décennie suivante, elle a volé de ses propres ailes et enchaîné une série de films inégaux mais dépourvus de cette force de vie qui avait marqué ses débuts de réalisatrice. C’est aujourd’hui en puisant son inspiration dans un livre d’Éric Reinhardt qu’elle trouve matière à aborder un sujet érigé au rang de véritable phénomène de société : les violences conjugales. Elle en a écrit pour cela l’adaptation avec une autre réalisatrice engagée, Audrey Diwan, Lion d’or à Venise en 2021 dès sa première réalisation, l’adaptation de L’événement d’Annie Ernaux.



Melvil Poupaud et Virginie Efira



En s’appropriant cette chronique cruelle relatée à l’origine par un homme, Valérie Donzelli est parvenue à accentuer sa puissance d’évocation en se positionnant au stade du quotidien le plus prosaïque. Elle associe pour cela deux comédiens élégants dont l’union a de quoi faire rêver. D’abord Virginie Efira, devenue désormais une figure incontournable du cinéma français au terme d’une mue qui l’a vue passer de l’insouciance de la comédie à laquelle semblaient la destiner d’emblée sa blondeur, son sourire et son tempérament d’ex-animatrice de télévision, à une gravité vers laquelle l’ont fait glisser récemment plusieurs rôles marquants dont celui qui lui a valu le César de la meilleure actrice il y a quelques mois pour sa composition toute en résilience dans Revoir Paris d’Alice Winocour. Elle-même comédienne, Valérie Donzelli a compris que ce choix lui permettrait d’imposer naturellement cette rupture de ton qui sous-tend le film, en montrant comment le quotidien peut être aliénant pour un couple et trompeur aux yeux du monde extérieur. Sa posture en tant que réalisatrice consiste à suggérer, davantage qu’à exposer frontalement. Certes, le couple peut-être un enfer, mais ça, Maurice Pialat l’a montré il y a un demi-siècle dans Nous ne vieillirons pas ensemble, sans pourtant nommer à l’époque ce qu’on qualifie aujourd’hui de violences conjugales. Plus récemment, Xavier Legrand a adopté un point de vue résolument différent dans Jusqu’à la garde (2017) où affleurait toutefois la peur derrière un silence menaçant.



Melvil Poupaud et Virginie Efira



Le parti pris adopté par Valérie Donzelli (et sa coscénariste Audrey Diwan) consiste à raconter cette histoire du point de vue de la victime et non de celui du bourreau, comme il est le plus souvent d’usage. C’est à travers ses yeux à elle qu’on perçoit sa personnalité à lui et notamment ce caractère instable sinon schizophrénique peut se dévoiler ponctuellement à travers des sautes d’humeur aussi brusques que terrifiantes. Il convient de souligner à ce propos la pertinence du casting qui assigne Melvil Poupaud dans le rôle du mari, qui plus est d’une actrice qu’il a déjà eu pour partenaire sur un registre très différent dans Victoria (2016) de Justine Triet. Il est cette fois un séducteur gauche et peu disert dont le comportement s’avère d’autant plus inquiétant qu’il n’arbore aucun signe extérieur de son caractère profond et trompe d’autant mieux son monde par cette nature d’animal à sang froid. L’habileté du film consiste à ne jamais se complaire dans l’exposition des scènes de ménage, mais d’en suggérer les effets dévastateurs les plus sournois à travers l’attitude et le comportement de la victime isolée qui n’a plus personne à qui se confier. Jusqu’au moment où c’est au contact d’une compagne de chambre à l’hôpital (la magnifique Virginie Ledoyen, à nu comme jamais) qu’elle réalise qu’il lui faut chercher du secours auprès de sa sœur jumelle que son mari a littéralement effacée de sa vie et que son repli involontaire sur elle-même est parvenu à lui faire oublier purement et simplement.



Virginie Efira



Valérie Donzelli réussit la prouesse d’enfermer ce couple présenté comme fusionnel dans un quotidien aussi douillet qu’aliénant où il évolue en vase clos. Avec cette forêt que borde leur maison, et qui pourrait devenir un refuge pour peu que la victime ait le courage de s’y enfoncer, avec tout le poids menaçant dont tant de contes de fées ont chargé ce cadre champêtre. C’est d’ailleurs le message délivré par le titre qui était aussi celui du roman. Dans un film anglo-saxon, l’héroïne serait passée à l’acte en se cachant dans ce lieu ô combien symbolique. Ici, la réalité est plus prosaïque et évite d’invoquer ce type d’artifice scénaristique pour rester concentrée sur un propos sociétal qui ne s’accommoderait d’aucun artifice. Dans la mesure où la réalisatrice prend un soin extrême à exposer les conséquences davantage que les actes de violence proprement dits qui restent suggérés, elle décrit le traumatisme subi par son personnage féminin à travers sa hantise de se retrouver en présence de son tourmenteur. Avec à la clé la seule éventualité qu’il vienne lui rendre visite et ne réussisse à l’extraire de la chambre d’hôpital où elle s’est réfugiée, comme un sas illusoire vers le monde extérieur, la liberté et l’apaisement. On retrouve là la signature d’Audrey Diwan qui privilégie la retenue du constat clinique à la complaisance de l’exposition, mais évite les allusions trop alambiquées, qu’elle traite du thème de l’avortement clandestin ou celui des violences conjugales. Un postulat auquel se prête parfaitement la mise en scène de Valérie Donzelli toute en retenue, en évitant à la fois de procéder par allusions vagues et de se complaire dans le voyeurisme. Elle souligne ainsi à quel point, c’est parce qu’elles restent cantonnées dans le cercle de l’intimité conjugale, que ce soit une maison voire une chambre à coucher, que ces pratiques restent parfois indiscernables aux yeux de l’extérieur, le bourreau se protégeant et la victime s’isolant.

Jean-Philippe Guerand







Virginie Efira et Melvil Poupaud

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