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“Jeanne du Barry” de Maïwenn



Film franco-britannique de Maïwenn (2023), avec Maïwenn, Johnny Depp, Benjamin Lavernhe, Pierre Richard, Melvil Poupaud, India Hair, Pascal Greggory, Capucine Valmary, Diego Le Fur, Pauline Pollmann, Micha Lescot, Noémie Lvovsky… 1h56. Sortie le 16 mai 2023.



Maïwenn et Johnny Depp



Une tradition veut que le Festival affectionne de s’ouvrir avec de grandes fresques à costumes. Comme pour perpétuer une certaine nostalgie qu’illustrèrent au fil des ans Ridicule de Patrice Leconte en 1996, Vatel de Roland Joffé en l’an 2000, Fanfan la Tulipe de Gérard Krawczyk en 2003, Marie Antoinette de Sofia Coppola en 2006 et cette année Jeanne du Barry. Maïwenn aborde le genre en s’attachant au grand amour de Louis XV. Une fille de la campagne qui s’est élevée jusqu’à épouser un comte grâce auquel elle a accédé à la cour de ce souverain alors proche de la soixantaine qui allait jusqu’alors puiser ses maîtresses dans le fameux parc aux cerfs du château de Versailles. Maïwenn dresse de cette courtisane en avance sur son temps un portrait d’autant plus attachant qu’il reflète les aspirations féministes de notre époque et que c’est elle-même qui tient son rôle. Ici réside la singularité de cette évocation moins attachée à respecter scrupuleusement la vérité historique qu’à mettre en évidence la modernité d’une amoureuse en proie à la jalousie des propres filles du roi qui vont jusqu’à instrumentaliser la jeune Marie Antoinette tout juste débarquée d’Autriche. Difficile toutefois pour Maïwenn de rivaliser en tant qu’interprète avec Martine Carol dans Madame du Barry (1954) de Christian Jaque voire Lucille Ball dans l’excentrique La Du Barry était une dame (1943) de Roy del Ruth, sinon les femmes fatales Theda Bara, Pola Negri, Norma Talmadge ou Dolores del Rio qui en ont donné des représentations diverses et variées au fil du temps.



Johnny Depp, Diego Le Fur et Maïwenn



Maïwenn jette un regard moderne donc forcément anachronique sur un régime qui n’a plus que quinze ans à vivre et semble davantage rongé de l’intérieur que par un peuple dont il est totalement coupé. Elle se sert de cette femme amoureuse qui n’a cure de l’étiquette pour dénoncer l’endogamie d’un système fondé sur l’hypocrisie (le cinéma avec qui la cinéaste règle ses comptes ?) où l’Église ne consent à administrer les saints sacrements au monarque atteint de la petite vérole que s’il répudie officiellement sa maîtresse honnie par une cour dépeinte comme un poulailler aux précieuses ridicules. Ce Louis XV vieillissant est incarné par Johnny Depp qui revient là au cinéma après une longue parenthèse judiciaire, à l’aube de son soixantième anniversaire. Un atout certain pour ce personnage las de régner auquel la réalisatrice a choisi de faire prononcer le moins de mots possible afin que son accent américain ne la contraigne pas à le faire doubler et à nuire ainsi à sa crédibilité. Le film constitue en outre un formidable décryptage des rituels protocolaires et de l’étiquette en vigueur, à travers le personnage campé par Benjamin Lavernhe qui en maîtrise les us les plus absurdes et les enseigne en complice à celle qui deviendra sa protégée. Comme cette coutume qui consiste pour n’importe quel visiteur à ne jamais tourner le dos au roi, quitte à progresser à reculons pour sortir d’une pièce. La touche féminine de Maïwenn réside peut-être aussi dans le comportement de son personnage qui arbore des tenues à rayures pour mieux se démarquer de ses rivales et va même jusqu’à se vêtir en homme, quitte à revenir à un habillement plus traditionnel lorsque les femmes de la cour se décident à l’imiter. C’est à travers le soin apporté à ces détails de prime abord négligeables que la réalisatrice marque son territoire, comme la comtesse du Barry avant elle. Sans doute n’avait-elle pas d’autre prétention.

Jean-Philippe Guerand







Pierre Richard, Benjamin Lavernhe et Maïwenn

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