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“Faces cachées” de Christine Molloy et Joe Lawlor



Rose Plays Julie Film irlando-britannique de Christine Molloy et Joe Lawlor (2020), avec Ann Skelly, Orla Brady, Aidan Gillen, Annabell Rickerby, Catherine Walker, Joanne Crawford, Sadie Soverall… 1h40. Sortie le 24 mai 2023.



Ann Skelly



L’Irlande a payé un lourd tribut à la religion dont le cinéma ne témoigne encore que timidement. Vingt ans après Peter Mullan dans The Magdalene Sisters qui s’est vu élever en son temps au rang de véritable phénomène de société, Christine Molloy et Joe Lawlor reviennent sur ce thème douloureux dans leur quatrième long métrage (après également une dizaine de courts), à travers la quête d’une étudiante pour renouer avec ses parents biologiques. Émerge le spectre d’un passé traumatisant qui reflète des pratiques d’un autre âge dont les dégâts collatéraux restent aujourd’hui encore considérables par les zones d’ombre qu’elles ont laissées au cœur de certaines existences. Faces cachées entend évoquer ce phénomène en montrant comment l’irruption de la vérité est de nature à bouleverser un être confronté à des origines dont il ignorait tout jusqu’alors. Avec cette notion corrélative selon laquelle il est nécessaire de connaître son passé pour pouvoir faire face à l’avenir en pleine connaissance de cause. Un sujet propice au mélodrame, mais traité ici avec une retenue exemplaire grâce à l’interprétation magistrale dans le rôle principal de la comédienne Ann Skelly. Ce film tout en retenue joue certes sur l’émotion, mais sans jamais tricher avec les sentiments. Il s’attache avant tout à mettre en évidence les stratagèmes retors déployés par un pays pour rendre périlleux sinon inaccessible l’itinéraire menant à la rédemption de ces orphelins coupés de leurs origines.



Aidan Gillen



Faces cachées suit cette recherche de la vérité à travers les retrouvailles douloureuses de cette jeune femme avec des parents qui expriment des réactions partagées. Autant sa mère ne veut pas que cette intruse s’immisce dans sa sphère intime, autant le père exprime des sentiments plus partagés. Il n’y a pourtant la place pour aucune tentation manichéenne dans ce jeu de la vérité qui laisse la place à l’émotion, mais se garde bien de la fabriquer artificiellement. La mise en scène s’avère d’une retenue exemplaire et s’en remet à la composition de ses interprètes, peu connus mais tous d’une infinie justesse. Ce film conçu comme une véritable enquête policière met en outre en évidence un phénomène particulièrement pervers : les adoptions fermées qui s’assortissent de toutes sortes de stratagèmes destinés à empêcher ceux qui en ont fait l’objet d’accéder à leurs véritables racines, quitte à falsifier pour cela des documents et à fabriquer de toutes pièces des récits alternatifs. Il s’agit donc là à proprement parler d’une vaste supercherie étatique dont il est aujourd’hui encore difficile d’apprécier les conséquences humaines dans leur ampleur véritable. Un sujet universel qui rejoint par bien des aspects la thématique développée tout récemment dans le documentaire français Mauvaises filles d’Émérance Dubas et montre ce que valait réellement la vie d’un enfant donc l’existence d’un être humain aux yeux des autorités religieuses encore toutes puissantes à moins d’un demi-siècle de distance.

Jean-Philippe Guerand








Orla Brady

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