Accéder au contenu principal

“Misanthrope” de Damián Szifron



To Catch A Killer Film américain de Damián Szifrón (2023), avec Shailene Woodley, Ben Mendelsohn, Jovan Adepo, Ralph Ineson, Richard Zeman, Dusan Dukic, Rosemary Dunsmore, Michael Cram, Mark Camacho, Erniel Baez Duenas, Arthur Holden, Jason Cavalier, Darcy Laurie… 1h58. Sortie le 26 avril 2023.



Shailene Woodley



Une nuit dans une vaste métropole, des femmes et des hommes sont abattus à bout portant sans mobile apparent par un tueur d’élite et de masse qui pousse son souci du perfectionnisme jusqu’à faire exploser l’appartement depuis lequel il a abattu ses cibles, dans le but d’effacer les moindres indices de ses crimes. Une jeune enquêtrice de la police en proie à des traumatismes intimes attire l’attention d’un inspecteur chevronné du FBI (Ben Mendelsohn) par sa sagacité et son empathie qui lui valent de rallier ponctuellement la prestigieuse agence pour essayer d’élucider cette affaire en organisant une vaste chasse à l’homme. Aujourd’hui largement cantonné à la télévision, le thriller est un genre roi qui ne supporte pas l’approximation, mais se réduit trop souvent à quelques scènes d’action au service d’une intrigue filandreuse. Misanthrope tranche de façon flagrante avec ces produits stéréotypés par la personnalité de ses protagonistes et une logique implacable. Avec deux références majeures dans le viseur : Se7en de David Fincher pour sa mécanique de précision et Le silence des agneaux de Jonathan Demme pour la relation irrationnelle qui s’établit entre un tueur invisible et une jeune recrue guidée par son instinct et son bon sens dans un environnement ô combien balisé. C’est là que se situe la singularité de ce film dont le titre français n’est pas nécessairement le plus limpide ni le plus vendeur du monde. Il faut donc passer outre et oublier Le misanthrope de Molière et souligner que To Catch a Killer, son titre original, évoque un sommet nettement plus léger, mais tout aussi éblouissant malgré sa légèreté trompeuse, To Catch A Thief, c’est-à-dire… La main au collet (1955) d’Alfred Hitchcock dont Damián Szifrón vénère la classe.



Ben Mendelsohn



Autre surprise de ce film, il est réalisé par un metteur en scène argentin dont le premier long métrage avait constitué un choc en l’espace d’une demi-douzaine de sketches rassemblés sous le titre Les nouveaux sauvages. Damián Szifrón renonce à cet humour grinçant au profit d’un suspense à couper le souffle dont toute légèreté est exclue. Au-delà de l’enquête proprement dit, qui constitue l’ossature principale du film, le scénario développe les relations parfois complexes entre les différentes unités chargées d’empêcher de nuire ce criminel invisible. Avec un tour de force scénaristique qui consiste à ne jamais le faire apparaître à l’écran de façon concrète, mais à nous faire entrer dans sa tête, en mettant en évidence le côté obscur d’une Amérique fissurée de paradoxes et de contradictions. Difficile enfin de ne pas mentionner la qualité de l’interprétation et notamment la composition de Shailene Woodley dans un contre-emploi de “Rookie” pourvue d’un instinct d’autant plus précieux aux yeux de ses supérieurs que cette qualité innée ne s’enseigne pas dans les écoles de police, mais représente l’arme absolue pour les profileurs qui se mettent dans la tête des meurtriers et parfois psychopathes qu’ils sont chargés d’empêcher de nuire et de neutraliser. C’est la perfection de la mise en scène, dans ses séquences les plus spectaculaires comme dans ses confrontations les plus intimes, permettant à Misanthrope de se distinguer du flux des séries télévisées qui prolifèrent sur des écrans bien souvent trop réduits pour en respecter l’ambition.

Jean-Philippe Guerand





Jovan Adepo, Ben Mendelsohn et Shailene Woodley

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract