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“Les âmes sœurs” d’André Téchiné



Film français d’André Téchiné (2022), avec Benjamin Voisin, Noémie Merlant, Audrey Dana, André Marcon, Sya Rachedi, Alexis Loret, Mama Prassinos, Jean Fornerod, Mirindra Ramaroson, Stéphane Bak… 1h40. Sortie le 12 avril.



Benjamin Voisin et Noémie Merlant



Grièvement blessé dans une explosion, un sous-officier français rapatrié du Mali est pris en charge par sa sœur qui va l’aider à revenir à la vie en émergeant de son amnésie. Un parcours douloureux qui va raviver des blessures intimes anciennes et confronter ses protagonistes à des souvenirs qu’ils auraient préféré pouvoir effacer… André Téchiné n’a pas son pareil pour tisser des relations entre les êtres et mettre en scène des familles confrontées à une accumulation de non-dits, en les inscrivant dans un contexte clairement délimité, avec un sens du romanesque assumé et une véritable obsession pour les conflits les plus intimes. Il perpétue en cela une longue tradition du cinéma français qui va de Jean Grémillon à François Truffaut et accorde la part belle aux grands sentiments. Un fil rouge qui court à travers l’œuvre de ce cinéaste attaché au terroir, de la saga familiale Souvenirs d’en France (1975) à l’intimisme minimaliste de L’adieu à la nuit (2019). Avec souvent aussi ce besoin de se raccrocher au contexte socio-historique pour donner davantage de chair à ses protagonistes, un goût du lyrisme qui a atteint son paroxysme avec le trop méconnu Barocco (1976) et une tentation impressionniste parvenue à son comble dans Les roseaux sauvages (1994).



Noémie Merlant et Benjamin Voisin



Tout juste octogénaire et déjà en tournage de son opus suivant, Dans le viseur, Téchiné signe avec Les âmes sœurs l’une de ces études de mœurs comme il les affectionne, en jouant par ailleurs d’un ressort dramatique qu’on croyait l’apanage du film noir : l’amnésie. Un artifice lié à une tentation moins facile qu’on ne serait tenté de le croire : on efface tout et on recommence. Le rêve pour n’importe quel scénariste qui dispose par essence d’un droit de vie et de mort sur ses personnages. Téchiné s’aventure ainsi dans des zones obscures de notre inconscient avec la complicité de deux interprètes exceptionnels : Noémie Merlant, décidément devenue une figure de proue indispensable du cinéma français, et Benjamin Voisin dont la rareté fait aussi le prix. Ensemble, ils vont remonter le fil d’une mémoire commune qui convie des souvenirs parfois inconfortables, en déclinant l’un des thèmes obsessionnels du réalisateur depuis toujours : les difficiles rapports entre ceux qui ont grandi ensemble et que la vie a éloignés avant de les remettre en présence. Téchiné est pourtant de ceux qui suggèrent davantage qu’ils ne montrent, sans jamais se dérober devant la force des sentiments. Avec en filigrane, une province française figée où tout change, mais rien ne change. À l’instar du personnage de notable qu’incarne André Marcon avec une extrême dignité, cet homme qui s’habille en femme, en perpétuant une obsession exprimée par le réalisateur dans ses œuvres les plus intimes, de J’embrasse pas (1991) à Nos années folles (2017). Voici un film qui secoue, qui bouleverse et qui étreint, en touchant à l’essentiel.

Jean-Philippe Guerand







Noémie Merlant et André Marcon

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