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“La belle ville” de Manon Turina et François Marques



Documentaire français de Manon Turina et François Marques (2023), avec Piero Barandiarán, Fernando Ortiz Monasterio, Rudi Scheuermann, Maurice Maggi, Molly Meyer, Tine Vanfraechem, Philippe Clergeau, Valérie Tsimba, Marco Claussen, Daniel Dermitzel, Guillaume Morel, Nicolas Brassier, Enzon Favoino, Ken Dunn, Anouck Barcat, Corinne Escoffier… 1h25. Sortie le 26 avril 2023.



Valérie Tsimba



Diplômés d’une école de commerce, Manon Turina et François Marques vivent avec leur temps et ont été incités par le confinement de mars 2020 à prendre le temps de le regarder au fond des yeux, en lâchant tout pour s’aventurer dans une longue quête qu’on pourrait taxer d’existentielle, tant elle semblait a priori contradictoire avec leurs fonctions dans le marketing et le management. Pas pour aller au bout d’eux-mêmes, comme le firent naguère les premiers beatniks et quelques soixante-huitards en quête de grands espaces inexplorés. Google Earth ayant aujourd’hui achevé d’établir la topographie des recoins les mieux cachés de notre planète, l’exotisme est ailleurs, nettement plus près de nous, mais encore invisible. Nos jeunes aventuriers ont donc décidé de renoncer temporairement à leurs activités professionnelles pour se lancer dans une quête singulière afin d’esquisser les contours du monde de demain. Ils sont donc partis en mode Bouvard et Pécuchet à la rencontre des pionniers qui s’y attellent déjà, depuis les toits de nos immeubles, des jardins partagés ou des officines chargées de trouver des solutions concrètes à des questions encore assez abstraites pour le commun des mortels recroquevillé dans un individualisme suicidaire. Avec en son cœur une problématique qui nous concerne tous : l’aménagement des espaces urbains à des impératifs écologiques destinés à rendre la vie meilleure, l’air plus pur, les déplacements fluides et à favoriser les circuits courts, en s’adaptant à l’urgence environnementale afin de prendre enfin en compte une nature saccagée depuis des temps immémoriaux et aujourd’hui menacée de mort imminente. Cette utopie qu’on pourrait croire abstraite et lointaine se trouve en fait déjà à nos portes, comme en témoignent les divers experts rencontrés par les réalisateurs, qu’il s’agisse de théoriciens ou de pionniers des nouveaux usages.





Au début, la démarche entreprise par Manon Turina et François Marques peut sembler empreinte de bonne volonté, mais plutôt naïve. Peut-être parce que les jeunes réalisateurs assument leur candeur autant que leur ignorance. Résultat : ils placent le spectateur dans la même position sans jamais se positionner en sachants arrogants. Au fil de leurs rencontres, ils conservent une précieuse capacité à s’étonner et à s’émerveiller, mais aussi à emmagasiner des informations parfois surprenantes et toujours instructives. En refusant la posture habituelle du militantisme qui a engendré tant de documentaires par le passé, notamment autour du phénomène fédérateur de la permaculture, La belle ville se positionne davantage dans la lignée du film Demain (2015) de Mélanie Laurent et Cyril Dion qui est le seul à ce jour à avoir réussi à séduire le grand public (un million de spectateurs) par la clarté de son discours, une formulation immédiate et ludique, mais sans prosélytisme ostentatoire. Une démarche d’autant plus salubre que l’écologie avance en France dans un ordre dispersé qui freine sa progression au sein d’une société civile rétive aux mesures punitives en raison de la pandémie de Covid-19 et de l’inflation vertigineuse du prix des denrées alimentaires. Par son titre délibérément positif, La belle ville résonne en écho au Meilleur des mondes, ce roman d’anticipation d’Aldous Huxley publié il y a déjà près d’un siècle. Les pionniers qu’y rencontrent les réalisateurs sont d’incorrigibles optimistes dont l’enthousiasme s’avère communicatif, qu’ils aménagent leur balcon en jardin suspendu ou remodèlent la topographie des métropoles en prenant en compte de nouveaux impératifs. Une invitation au rêve dont l’urgence est désormais une question de vie ou de mort.

Jean-Philippe Guerand









François Marques et Manon Turina

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