Documentaire germane-sénégalais de Florian Heinzen-Ziob (2022), avec Malou Airaudo, Jorge Puerta Armenta, Gloria Ugwarelojo Biachi, Luciene Cabral, Clémentine Deluy, Franne Christie Dossou, Josephine Ann Endicott, Julian Amir Lacey, Sangeun Lee, Francesco Pio Ricci, Courtney Richardson, Tom Jules Samie… 1h56. Sortie le 12 avril 2023.
Il est des artistes dont l’aura survit à leur disparition comme un phare dans la nuit. C’est le cas de la chorégraphe Pina Bausch (1940-2009) dont la troupe du Tanztheater perpétue l’héritage avec une constance admirable et s’acharne sans répit à le transmettre aux nouvelles générations, comme une minuscule flamme qu’on attise de peur qu’elle ne s’éteigne inéluctablement. De cette artiste unique, il reste quelques captations de spectacles représentés de son vivant et repris régulièrement tels quels sur les scènes du monde entier par ses danseurs et leurs disciples. De son œuvre considérable, le cinéma a surtout retenu le chef d’œuvre que lui a consacré Wim Wenders, Pina (2011) dans lequel les membres de sa troupe se déployaient dans le cadre de sa ville de Wuppertal en faisant corps avec les éléments, dans un effet de réalisme accentué par la 3D comme jamais auparavant. La chorégraphe a elle-même réalisé naguère un film unique à tous les sens du terme, La plainte de l’impératrice (1990), ainsi que des captations de ses ballets Cafe Müller (1985) et Walzer (1986). Après Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch (2010) de Rainer Hoffmann et Anne Linsel, la voici à nouveau au cœur d’un autre projet passionnant, Dancing Pina, qui s’attache simultanément à deux initiatives destinées à perpétuer et à vivifier son art : d’une part “Iphigénie en Tauride” sous l’égide du corps de ballet du Semperoper de Dresde, de l’autre “Le sacre du printemps” à l’École des sables du Sénégal. Jamais sans doute l’art vivant n’a si bien justifié son nom.
Dancing Pina s’attache à la fois à la permanence et à l’universalité d’une artiste qui a laissé une trace indélébile au sein d’une des disciplines les plus éphémères qui soient, à travers la reproduction minutieuse de gestes et de mouvements par les héritiers de la chorégraphe à de nouvelles générations, de l’Europe à l’Afrique. Expérience intense pour un devoir de mémoire qui passe par une transmission corporelle unique et témoigne de l’universalité absolue de cet art du mouvement et de l’harmonie qui repose sur un équilibre miraculeux. Ce documentaire qui met en parallèle deux initiatives simultanées s’avère d’autant plus passionnant qu’il joue avec habileté d’un impondérable de nature à briser son élan que le documentariste Florian Heinzen-Ziob retourne à son avantage, en soulignant à quel point la danse est un art ingrat à la merci de multiples paramètres qui débordent de sa simple discipline. Avec dans le rôle de passeuse d’élite la danseuse française Malou Airaudo qui considère comme un sacerdoce le fait de transmettre aujourd’hui à une nouvelle génération et sous des latitudes multiples l’héritage chorégraphique de Pina Bausch dont elle fut l’une des plus proches collaboratrices de 1973 à sa disparition prématurée. Ce film en témoigne avec une charge émotionnelle considérable qui lui confère une valeur mémorielle ajoutée non négligeable. Voici une merveilleuse invitation à la danse qui s’adresse autant aux admirateurs de Pina Bausch qu’à celles et ceux qui n’ont pas encore succombé à son charme incomparable.
Jean-Philippe Guerand
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