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“Chien de la casse” de Jean-Baptiste Durand



Film français de Jean-Baptiste Durand (2022), avec Anthony Bajon, Raphaël Quenard, Galatea Bellugi… 1h33. Sortie le 19 avril 2023.



Raphaël Quenard



Voici un premier film comme le cinéma en a produit naguère des dizaines, mais semble aujourd’hui en avoir perdu le secret. Une chronique provinciale qui évoque irrésistiblement Le beau Serge de Claude Chabrol par son cadre champêtre autant que par ses autochtones. Amis depuis toujours, Dog et Mirales ont vieilli sans s’en rendre vraiment compte. Au point que leur complicité est devenue une routine. Alors quand le cadet rencontre Elsa, les deux garçons réalisent qu’ils ont vieilli, mais pas pareil. Dès lors, rien ne sera plus comme avant… Jean-Baptiste Durand s’attache ici avec délicatesse à deux jeunes gens qui ont si longtemps vécu à l’unisson qu’ils n’ont pas prêté attention au monde autour d’eux. Lorsque le film débute, Dog vit sous l’emprise de celui qui se considère un peu comme son grand frère et abuse de son ascendant. Jusqu’au moment où Mirales accueille l’apparition de sa petite amie comme… un mari trompé. Le réalisateur joue avec subtilité de cette ambiguïté sans jamais s’aventurer franchement sur le terrain mouvant de l’homosexualité. Il restitue à merveille cette confusion des sentiments constitutive du passage à l’âge adulte, sans jamais la formuler, reflétant là l’état d’esprit de ces éternels glandeurs dont l’amitié s’est peu à peu transformée en une sorte de jeu de rôles parfois malsain pour l’un, là où l’autre a réussi à conserver son innocence et sa capacité à s’émerveiller.



Raphaël Quenard et Anthony Bajon



Chien de la casse réussit la prouesse de s’inscrire solidement dans notre époque, mais dans un cadre bucolique plutôt immuable, tout en s’attachant à des sentiments éternels. On pourrait aussi y voir la chronique d’un amour contrarié. Et là, il faut s’attarder sur la qualité de l’interprétation. Face à Anthony Bajon dans le rôle du souffre-douleur contraint de jouer les arbitres entre son copain dominateur et sa petite amie déterminée à lui ouvrir les yeux sur la toxicité de leurs relations, Galatea Bellugi s’impose comme l’incarnation de la raison. Reste l’outsider de la distribution, Raphaël Quenard, jusqu’ici cantonné à des seconds rôles. Déjà confronté au même partenaire masculin dans La troisième guerre, il crève l’écran en coq de village désabusé que son cadet renvoie à l’inanité de son existence et à son refus de devenir adulte. Avec ce dédoublement sémantique subtil qui fait qu’il n’a que deux compagnons dans la vie : Dog et… son chien. Avec ce premier long métrage, Jean-Baptiste Durand investit un terrain trop longtemps laissé en friche par le cinéma français : celui d’une ruralité dont le cadre photogénique trompeur permet de dissimuler un profond mal de vivre chez une jeunesse de moins en moins nombreuse, mais de plus en plus décalée par rapport à sa génération et au peuple des villes. Cette étude de mœurs a l’insigne mérite de proposer un instantané saisissant de notre époque qui tranche avec l’image qu’en reproduit majoritairement le cinéma français ambiant, trop souvent coupé de la réalité sociologique chère aux statisticiens et autres sondeurs.

Jean-Philippe Guerand








Anthony Bajon, Galatea Bellugi et Raphaël Quenard

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