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“C’est mon homme” de Guillaume Bureau



Film français de Guillaume Bureau (2022), avec Leïla Bekhti, Karim Leklou, Louise Bourgoin, Jean-Charles Clichet, Ghislain de Fonclare, Véronique Ruggia Saura, Jeanne Cohendy, Emmanuelle Schaaff… 1h27. Sortie le 5 avril 2023.



Karim Leklou



La Première Guerre mondiale a eu ceci de particulier qu’elle a engendré dans son sillage des malheurs en cascade : gueules cassées, ailes brisées et autres victimes de la grippe espagnole et de traumatismes incurables. Avec aussi son chapelet de drames romanesques qui ont nourri récemment l’inspiration de Nos années folles d’André Téchiné, Les gardiennes de Xavier Beauvois, L’envol de Pietro Marcello et La place d’une autre d’Aurélia Georges. Dans le dernier de ces films, Lyna Khoudri incarnait une jeune femme qui usurpait l’identité d’une gouvernante qu’elle avait vu mourir sous ses yeux. C’est mon homme s’attache au retour d’un soldat amnésique en qui une photographe affirme reconnaître son fiancé… avant qu’une autre ne se manifeste à son tour pour revendiquer ses droits sur lui. Un sujet moins simple qu’il ne pourrait y paraître de prime abord, tant il implique de sous-entendus sur une période tourmentée où les femmes manquaient d’hommes valides pour leur permettre de compenser les pertes irrréparables d’une génération anéantie dans les tranchées. De ce sujet mélodramatique, qui cadre parfaitement avec son époque propice aux grands sentiments, Guillaume Bureau tire un premier film qui fait la part belle à son trio d’interprètes. Deux femmes amoureuses incarnées respectivement par la brune Leïla Bekhti et la blonde Louise Bourgoin, avec pour obscur objet du désir le toujours impeccable Karim Leklou, dont c’est tout de même le troisième film en deux mois après Pour la France et Goutte d’Or.



Louise Bourgoin



La place d’une autre évoque une époque de grande confusion où la nation française tentait d’exorciser son plus grand traumatisme collectif depuis les guerres napoléoniennes. Avec cette double peine qu’impliquaient des morts sans cadavres, des deuils sans sépultures et quelque trois cent mille disparus. L’amnésie constitue en outre un formidable moteur dramatique par les fantasmes qu’elle alimente. En laissant planer un doute, le film adopte délibérément le point de vue de ses deux personnages féminins, sans prendre davantage parti pour l’une plutôt que l’autre. Comme le souligne le réalisateur lui-même, « le désir fait la loi » dans une société qui pâtit d’une pénurie de mâles et plus encore de géniteurs. Une situation propice aux subterfuges et aux manigances les plus délirants, avec la bonne dose de romanesque que cela implique pour des raconteurs d’histoires. C’est ce filon qu’exploite Guillaume Bureau en privilégiant le romantisme au suspens. Son personnage masculin devient un véritable catalyseur à fantasmes sur lequel il est d’autant plus facile de se projeter qu’il n’exprime ses sentiments qu’a minima et subit davantage qu’il n’agit, dans une transposition masculine de ces femmes-objets si souvent célébrées au cinéma par le passé. Une modernité qu’on pourrait juger anachronique si elle n’était justifiée par le contexte particulier de ce début d’Entre-Deux-Guerres où les premières suffragettes occupèrent le vide laissé par les hommes. C’est dire combien la mise en abyme esquissée par La place d’une autre dépasse son simple aspect mélodramatique.

Jean-Philippe Guerand







Leïla Bekhti et Karim Leklou

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