Kurak Günler Film turco-franco-germano-hollando-gréco-croate d’Emin Alper (2020), avec Selahattin Pasali, Ekin Koç, Erol Babaoglu, Erdem Senocak, Selin Yeninci, Sinan Demirer, Hatice Aslan, Ali Seçkiner Alici, Nizam Namidar… 2h08. Sortie le 26 avril 2023.
Ekin Koç et Selahattin Pasali
Un juge d’instruction nommé dans une bourgade provinciale turque se voit chargé d’enquêter sur des glissements de terrain à répétition provoqués par l’assèchement de la nappe phréatique. Courtisé par les notables qui souhaitent bénéficier de ses faveurs et le réduire à l’inaction, ce jeune homme intègre et droit dans ses bottes constate que dans cette zone de non-droit, les citoyens se permettent à peu près tout et entretiennent une entente tacite qui le désigne comme un intrus, avec tout ce que cela suppose de tentatives d’intimidation et de menaces à peine dissimulées. Construit selon les structures traditionnelles du western autour d’un représentant de la loi un peu naïf qui s’accroche à ses illusions et à un sens du devoir qui traduit une certaine naïveté, Burning Days s’impose comme une transposition moderne d’Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, à travers sa dénonciation d’une élite locale sans foi ni loi qui exerce son pouvoir au détriment des normes élémentaires. Il y a également chez ce petit juge incorruptible quelque chose du shérif idéaliste du Train sifflera trois fois que campait Gary Cooper. Le film est d’autant plus impressionnant qu’il ose dénoncer les errements d’un pays où règne une conception très élastique de la démocratie grâce à un maillage local implacable. Dès lors, les fonctionnaires chargés de garantir la paix civile et la justice ne sont considéré que comme des pions interchangeables par les autorités.
Selahattin Pasali
Au-delà de sa description au vitriol d’une société en proie au droit du plus fort, ce faux polar dresse le portrait magistral d’un idéaliste que campe Selahattin Paşalı, connu jusqu’alors essentiellement pour deux séries diffusées sur Netfllix. Sélectionné à Venise et à Berlin pour ses trois films précédents, Emin Alper signe avec Burning Days un tableau de mœurs corrosif qu’on peut interpréter comme une parabole de la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, mais aussi comme une synecdoque d’une société archaïque régie par l’impunité des potentats locaux. Burning Days tranche par son discours dénonciateur virulent avec les films turcs qu’on a l’habitude de voir, à l’instar de ceux du maître Nuri Bilge Ceylan qui bottent en touche en empruntant une voie alternative pavée de valeurs éternelles et intemporelles. Emin Alper se livre quant à lui à une critique nourrie du système en vigueur avec une acrimonie qui évoque celle du cinéma politique italien des années 70 par sa façon d’en démonter les rouages, en opposant à la coutume un signe extérieur de progrès qui s’appelle la justice. Il s'attache à un personnage isolé face à une communauté de notables cramponnés à leurs privlièges et bien décidés à empêcher l’intrus de leur nuire. Une fable universelle qui brille par sa figure de justicier incorruptible seul contre tous face à des éléments dont la colère apparaît comme hautement symbolique, à l’instar de son image finale, cinglante et inoubliable.
Jean-Philippe Guerand
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