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“Brighton 4th” de Levan Koguashvili



Film géorgo-russo-bulgaro-monégasco-américain de Levan Koguashvili (2021), avec Levan Tediashvili, Giorgi Tabidze, Nadia Mikhalkova, Kakhi Kavsadze, Irakli Kavsadze, Tornike Bziava, Anastasia Romashko, Stefaniya Makarova, Giorgi Kipshidze, Yuri Zur… 1h36. Sortie le 12 avril 2023.



Levan Tediashvili et Giorgi Tabidze



Le début de ce film donne sa tonalité. Dans une salle de café bondée de parieurs rassemblés pour assister à des courses de chevaux, on passe d’un homme seul à une altercation entre deux de ses voisins dont l’un se voit expulsé manu militari. On s’envole alors de Tbilissi à un quartier de Brooklyn où se trouvent concentrés des immigrants de l’ex-Union soviétique dont la diaspora géorgienne locale pour laquelle l’artère Brighton 4th constitue une véritable moëlle épinière géographique en attendant une intégration souvent illusoire. Une communauté qui vit en autarcie et continue à s’exprimer exclusivement dans sa langue en perpétuant ses mœurs, ce qui a pu faire dire à certains observateurs que l’Amérique est moins un melting-pot qu’une salade de fruits. Cette spécificité et la présence familière à proximité du célèbre parc d’attractions de Coney Island éveillent irrésistiblement le souvenir d’un autre film noir, Little Odessa (1994) de James Gray. Dans un cas comme dans l’autre, le réalisateur s’attache à une diaspora en vase clos qui a reproduit les us et coutumes de son pays natal, les plus jeunes servant d’interprètes à leurs aînés qui n’ont jamais vraiment cherché à se fondre dans la masse ni a fortiori à s’assimiler sur cette terre étrangère qui se résume pour eux à quelques Blocks qu’on jurerait arrachés à leur lointaine patrie.



Levan Tediashvili et Giorgi Tabidze



L’intrigue de Brighton 4th n’apparaît que comme un prétexte à la peinture d’un monde à part qui ne trompe personne, mais vit selon des coutumes et des rituels venus d’ailleurs. Son personnage principal est à l’image de sa communauté : c’est un ancien champion de lutte qui débarque à New York pour tirer son fils d’un guêpier, en proie à des dettes de jeu qu’il est dans l’incapacité de rembourser. Une intrigue minimale pour un film noir qui respecte les lois du genre en s’appuyant sur le respect d’un certain code d’honneur en milieu hostile. La puissance du film de Levan Koguashvili repose pour une bonne part sur la personnalité atypique de son interprète, un autre Levan, Tediashvili celui-là, un septuagénaire qui brilla comme champion olympique de lutte libre en 1972 et 1976 et fut sacré champion du monde à cinq reprises. Un colosse impressionnant mû par son esprit de famille qui va devoir mettre toutes ses forces dans la bataille pour sauver ce qu’il a de plus cher, même s’il feint de s’accrocher à une illusion, mais se sent immédiatement chez lui dans ce microcosme où les panneaux de circulation sont libellés plus souvent en russe qu’en anglais, à l’usage des derniers arrivants autant qu’aux immigrés de longue date pour qui le provisoire est devenu définitif. Ce film lapidaire primé au festival de Tribeca donne une furieuse envie de découvrir les quatre longs métrages qui l’ont précédé depuis 2009.

Jean-Philippe Guerand







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