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“Blue Jean” de Georgia Oakley



Film britannique de Georgia Oakley (2022), avec Rosy McEwen, Kerrie Hayes, Lucy Halliday, Lydia Page, Becky Lindsay, Maya Torres, Ellen Gowland, Amy Booth-Steel, Stacy Abalogun, Aoife Kennan, Scott Turnbull, Farrah Cave, Lainey Shaw, Izzy Neish, Gavin Kitchen… 1h37. Sortie le 19 avril 2023.



Rosy McEwen



Dans l’Angleterre de Margaret Thatcher, la stigmatisation de la communauté gay par un texte de loi contraint ses membres à la discrétion. Prof d’éducation physique dans un lycée, Jean a beau se montrer extrêmement discrète sur sa vie privée, le jour où l’une de ses élèves lui adresse des signes un peu trop explicites, il lui faut trouver le moyen le mieux approprié pour qu’elle reste discrète vis à vis de la communauté scolaire, de peur qu’un scandale éclate… Aujourd’hui réduit à une misérable peau de chagrin, le cinéma britannique donne avec le premier long métrage de Georgia Oakley un signe de créativité encourageant qui lui a d’ailleurs valu le prix du public dans la section Giornati degli autori de la dernière Mostra de Venise. La réalisatrice situe symboliquement Blue Jean en 1988, c’est-à-dire l’année de sa propre naissance. Comme pour mieux souligner combien le statut des homosexuels n’a évolué que tardivement, en condamnant ceux-ci à évoluer dans une clandestinité qu’on pourrait croire d’un autre âge. La réalisatrice choisit à dessein pour personnage principal une femme discrète qui évite d’autant plus soigneusement tout signe de reconnaissance ostensible qu’elle travaille dans la fonction publique et au contact d’adolescents. La reconstitution des années 80 n’est par ailleurs jamais appuyée, l’époque étant évoquée davantage de façon allusive que par une direction artistique tapageuse. Un parti pris d’autant mieux assumé que l’habitat traditionnel de l’Angleterre profonde se caractérise par une certaine intemporalité liée elle-même à un souci politique d’effacer les différences sociales par la multiplication à l’infini d’une gamme réduite de modèles d’habitat.



Kerrie Hayes et Rosy McEwen



Blue Jean est indissociable de son interprète principale, l’androgyne Rosy McEwen, découverte l’an dernier dans Vesper Chronicles et couronnée de l’Independent Film Award de la meilleure interprétation pour sa composition toute en retenue dans le film de Georgia Oakley. Avec sa coupe à la garçonne et le survêtement unisexe qui lui tient lieu d’uniforme professionnel, elle brille précisément par sa propension à la discrétion et à la retenue dans un milieu sensible où les signes extérieurs de reconnaissance se doivent plus qu’ailleurs d’être gommés. Face à cette femme qui se soumet à la loi, sa jeune élève incarne une génération plus revendicative qui obtiendra de nouveaux droits et vivra une homosexualité libérée et reconnue. C’est aussi cette évolution des mentalités que dépeint le film à travers cses personnages féminins qui perçoivent différemment la même époque : les unes en se soumettant, les autres en exprimant leurs revendications. Blue Jean constitue aussi en cela un instantané saisissant sur l’évolution des mentalités au sein d’une civilisation corsetée où la tradition monarchique s’est souvent révélée compatible avec une société civile à la pointe en matière de mœurs qui a volontiers donné l’exemple au reste du monde. Ce beau film en témoigne avec finesse, tout en révélant une réalisatrice et une actrice promises l’une comme l’autre à un bel avenir. Pour peu qu’on leur en fournisse l’occasion…

Jean-Philippe Guerand








Rosy McEwen et Lucy Halliday

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