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“About Kim Sohee” de July Jung



Da-eum-so-hee Film sud-coréen de July Jung (2022), avec Doona Bae, Kim Si-eun, Choi Hee-jin, Song Yo-sep… 2h17. Sortie le 5 avril 2023.



Kim Si-eun (à droite)



Voici un film dont la structure même tranche avec les conventions dramatiques traditionnelles, en s’attachant successivement à deux femmes distinctes. La première est une lycéenne qui effectue son stage de fin d’études dans un centre d’appel de Korea Telecom. La seconde est une enquêteuse chargée de mettre en évidence les méthodes peu orthodoxes que pratique cette société de téléphonie. C’est en s’inspirant d’un fait divers authentique survenu en 2016 que la réalisatrice coréenne July Jung a conçu son deuxième long métrage, About Kim Sohee, dans lequel elle retrouve l’interprète principale du précédent, A Girl at my Door (2014), la très expérimentée Doona Bae. Avec comme autre fil rouge la thématique du harcèlement, hier familial, aujourd’hui professionnel, dans le cadre d’une société feutrée qui évite de parler trop fort des sujets qui fâchent et laisse ainsi se propager des pratiques indignes d’une civilisation dite évoluée. Sous le thriller psychologique affleure en effet une critique sociale acerbe dont le centre de gravité est un monde du travail régi par des méthodes de management brutales mais invisibles où l’individu sacrifié sur l’autel de la rentabilité économique se voit condamné à subir son sort en silence dans l’indifférence de ses collègues accrochés à leur emploi comme des naufragés à une bouée. Un univers impitoyable où sévit impunément une forme d'esclavage moderne auquel le cinéma local s’est très rarement consacré. En adoptant les conventions du polar pour décrypter cette gangrène sociale dévastatrice, July Jung fait œuvre utile, tout en signant un double portrait de femmes en miroir dans le cadre d’un pays loué pour sa modernité où le silence plus qu’ailleurs peut s'avérer assassin.



Kim Si-eun



Présenté au Festival de Cannes 2022 en clôture de la Semaine de la critique, About Kim Sohee tranche avec la tradition faste du polar coréen par la solidité de son ancrage social et sa structure en deux mouvements. Là où l’usage narratif traditionnel aurait pu inciter un spécialiste du genre à user du sacro-saint flash-back, July Jung préfère exposer la situation initiale, puis l’enquête qu’elle engendre afin d’essayer de connecter entre eux ses deux personnages féminins dont on comprend qu’ils appartiennent à des stades différents de leur condition, à l’instar de leurs interprètes. Célèbre pour ses collaborations avec Bong Joon-ho (The Host), Park Chan-wook (Sympathy for Mr. Vengeance) et Hirokazu Kore-eda (Les bonnes étoiles), Doona Bae est une actrice plutôt atypique qui cache son goût du risque sous une discrétion faussement rassurante, alors que Kim Si-eun a fait carrière dans des séries populaires avant de tenir ici son premier rôle en vedette au cinéma. Le talent de July Jong consiste à mettre ces deux personnages féminins en perspective, comme s’ils incarnaient deux âges distincts d’un seul et unique individu confronté à l’archaïsme endémique d’une société souvent louée pour sa modernité illusoire. C’est aussi cette illusion contre laquelle s’élève ce constat sans appel de l’horreur économique et de ses dégâts humains perpétrés en toute impunité grâce à une omerta collective complaisante qui relève de la non-assistance à personne en danger.

Jean-Philippe Guerand







Doona Bae (à gauche)

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