Film américain de Sarah Polley (2022), avec Rooney Mara, Claire Foy, Jessie Buckley, Judith Ivey, Sheila McCarthy, Michelle McLeod, Kate Hallett, Liv McNeil, August Winter, Ben Whishaw, Frances McDormand, Kira Guloien, Emily Mitchell… 1h45. Sortie le 8 mars 2023.
Kate Hallett et Liv McNeil
Dans une congrégation religieuse coupée du monde, des femmes se réunissent pour discuter d’un sujet grave : le sort qui leur est réservé par les hommes de cette colonie où les agressions sexuelles sont banalisées sinon institutionnalisées. Seul l’un d’eux participe à cet étrange jeu de la vérité qui résonne comme une thérapie de groupe : l’instituteur qui est chargé d’établir le procès-verbal, car aucune femme de cette communauté ne sait ni lire ni écrire. Il a pour lui la jeunesse et une moralité qu’on devine encore sauve. Du côté de ces dames aux tenues austères qu’on croirait échappées du tableau d’un maître flamand, le constat est amer : leur vie sociale est la perpétuation amplifiée des mauvaises manières auxquelles s’est laissé aller la société civile dominée par les mâles. Révélée comme interprète par ses compatriotes Atom Egoyan et David Cronenberg, la comédienne canadienne Sarah Polley est passée de l’autre côté de la caméra, mue par une volonté d’exprimer ses engagements personnels. Son quatrième long métrage est l’adaptation de “Ce qu’elles disent”, un livre exutoire de Miriam Toew dont la comédienne Frances McDormand a acquis les droits. Prétexte à une parabole sur les débats qui fracturent la société contemporaine et creusent un abîme d’incompréhension voire d’incommunicabilité.
Ben Whishaw, Rooney Mara et Claire Foy
Women Talking s’inspire de faits authentiques survenus entre 2005 et 2009 au sein de la colonie mennonite Manitoba de Bolivie, l’une de ces obédiences religieuses sur lesquelles le temps semble s’être arrêté, en contraignant ses membres à vivre dans un autre espace spatio-temporel, à la manière de la communauté Amish dans lequel se déroulait le célèbre Witness de Peter Weir… la sérénité et l’harmonie en moins. Cinéaste engagée, Sarah Polley libère à l’écran la parole de ces femmes illettrées en proposant une réflexion passionnante sur une situation d’autant plus aberrante que malgré les tenues d’un autre âge qu’elles arborent, ces victimes de mœurs archaïques sont bel et bien des citoyennes du monde contemporain qui ont été trop longtemps maintenues dans l’ignorance de leur époque et de ses avancées sociologiques. La réalisatrice fait appel pour cela à des interprètes magistrales, de Rooney Mara à Claire Foy, en passant par Jessie Buckley, Judith Ivey, Sheila McCarthy et Frances McDormand. Des comédiennes différentes par leur itinéraire, leur âge et leur engagement personnel dans le féminisme qui s’engagent pour cette juste cause avec une ardeur touchante. Comme son titre l’indique justement, c’est la parole des femmes que libère Women Talking à travers une conversation à bâtons rompus qui démontre à quel point il est difficile pour les victimes de se défaire de l’emprise de leurs bourreaux pour se reconstruire en se libérant. Difficile de rester sourd à un propos à ce point universel et généreux. Il nous concerne tous.
Jean-Philippe Guerand
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