Film américain de Darren Aronofsky (2022), avec Brendan Fraser, Ty Simpkins, Hong Chau, Sadie Sink, Samantha Morton, Sathya Sridharan, Jacey Sink, Huck Milner, Ryan Heinke… 1h57. Sortie le 8 mars 2023.
Reclus dans son appartement, un véritable pachyderme humain prodigue ses conseils à des élèves en télétravail dont il est devenu le gourou invisible, faute d’allumer sa caméra. Il apparaît que cet homme affable et chaleureux cache en fait un terrible secret qui le ronge. Sa fille unique a coupé les ponts avec lui depuis qu'il a quitté sa mère pour vivre avec un autre homme. Depuis ces temps immémoriaux, il semble condamné à rester cloîtré à vie dans son appartement en raison du syndrome d’hyperphagie incontrôlée provoqué par la dépression dans laquelle il a sombré depuis la mort de son compagnon. Comme une baleine échouée… Amateur de sujets extrêmes, Darren Aronofsky n'a jamais cherché à plaire, mais creuse un sillon très particulier film après film, en résistant à l’hégémonie hollywoodienne, tout en refusant de se résoudre à la confidentialité imposée par l’économie même du cinéma indépendant quand il n’est pas adossé à la filiale d’un grand studio. Résultat, une œuvre atypique où alternent échecs et succès sans affecter sa réputation auprès des cinéphiles. The Whale appartient assurément à la seconde catégorie par son sujet, inspiré d’une pièce de théâtre de Samuel D. Hunter, et grâce à son interprète principal, Brendan Fraser, longtemps cantonné dans les rôles de héros au sourire rassurant. À deux exceptions notables près : le jardinier amoureux d’Ian McKellen dans le biopic du réalisateur de Frankenstein, James Whale, Ni dieux ni démons (1998), et son petit rôle dans le film choral Collision (2004) de Paul Haggis. Après un détour prolongé par le petit écran, l’acteur quinquagénaire pourrait amorcer aujourd’hui un virage déterminant avec ce rôle de pure composition qu’il habite littéralement de sa bienveillance naturelle. Avec à la clé une première nomination à l’Oscar que n’auraient pas pu laisser présager ses compositions si légères dans George de la jungle ou La momie.
Sadie Sink
The Whale est indissociable de la performance prodigieuse de son acteur principal confronté à son physique monstrueux, à une voisine compatissante et à de rares visiteurs, sans que ses élèves soupçonnent réellement à qui ils ont affaire. Au-delà du tour de force que constitue la composition déchirante de Brendan Fraser qui envahit littéralement l’écran et que chorégraphie avec délicatesse le chef opérateur Matthew Libatique, le film réussit la prouesse d’humaniser ce personnage pris au piège de son propre corps en l’inscrivant dans un cadre intime dont on a le sentiment qu’il ne réussira plus à s’échapper, tant sa silhouette semble écrasée par le décor intime dans lequel elle occupe une place disproportionnée. C’est là où intervient tout l’art du metteur en scène qui nous confine en compagnie de son personnage, mais joue de tous les artifices du cinéma pour évoquer ce monde extérieur qui lui semble désormais inaccessible et incarne son salut. Avec cet improbable morceau de bravoure final qui évoque son retour héroïque parmi les vivants au terme d’un effort inhumain mis en scène dans un sursaut ultime et dérisoire. The Whale est une variation singulière autour du fameux “Martyre de l’obèse” d’Henri Béraud (Prix Goncourt il y a un siècle) qui brasse des thèmes universels et nous invite à voyager dans la tête d’un homme avec une rare intensité et sans le moindre artifice inutile.
Jean-Philippe Guerand
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