Film français de Denis Imbert (2022), avec Jean Dujardin, Izïa Higelin, Anny Duperey, Jonathan Zaccaï, Joséphine Japy, Dylan Robert… 1h34. Sortie le 22 mars 2023.
Jean Dujardin
C’est l’histoire d’un homme qui marche… Dans la vraie vie, il s’agit de l’écrivain voyageur Sylvain Tesson, que ses folles randonnées à travers la planète ont rendu célèbre et à qui elles ont inculqué une sagesse infinie. Jusqu’à cette nuit d’ivresse funeste où l’aventurier a effectué une mauvaise chute depuis le balcon d’un immeuble parisien et a atterri sur le toit d’une voiture, plongé dans le coma, brisé dans sa chair et sans doute aussi un peu dans son âme. Une épreuve de vérité déterminante qui l’a incité à reprendre la route au terme d’une longue convalescence pour continuer à aller de l’avant et à tirer parti de son isolement en réfléchissant à des questions fondamentales parfois existentielles. Comme un exutoire… Le fils prodigue du journaliste Philippe Tesson s’est imposé ainsi comme un observateur privilégié du monde tel qu’il est et que nous ne le regardons que trop rarement, persuadés qu’il est immuable pour l’éternité. Ses méditations avaient jusqu’à présent inspiré au cinéma deux œuvres de nature très différente : Dans les forêts de Sibérie (2016) de Safy Nebbou et le documentaire La panthère des neiges (2021) de Marie Amiguet et Vincent Munier. Des films qui reflètent fidèlement la philosophie profonde de ce citoyen du monde et son attachement viscéral à une vertu en contradiction apparente avec notre époque : la lenteur. Avec à l’appui cet écho irrésistible et ascendant qu’ont trouvé peu à peu ses livres parmi un public de plus en plus nombreux qui exprime là une aspiration inhérente à notre époque menacée par le réchauffement climatique et toutes sortes de désordres aux conséquences incertaines dont on ne peut véritablement prendre conscience qu’en se donnant le temps de s’immerger dans ce monde absent des médias traditionnels comme des réseaux sociaux qu’on appelle parfois avec un certain mépris “la France profonde” et que fracture en son cœur la non moins fameuse diagonale du vide.
Jean Dujardin et Izïa Higelin
Sur les chemins noirs incarne en quelque sorte la quintessence du Road Movie et constitue à ce titre un véritable défi dramaturgique, mais aussi un itinéraire individuel qui reflète de façon saisissante les enjeux de notre époque et son besoin de reconnexion aux valeurs fondamentales déjà à l’origine récemment du succès cinématographique d’Antoinette dans les Cévennes. Cette problématique, Denis Imbert l’a résolue en choisissant pour l’interpréter Jean Dujardin, lui-même adepte de longue date des grandes randonnées pédestres. Une implication qui crève l’écran, se passe de mots inutiles et de considérations grandiloquentes pour confronter cet homme à des interlocuteurs de deux ordres différents : des proches qui viennent s’immiscer dans son univers de grande solitude et des inconnus qui croisent sa route et avec lesquels il lui arrive de parcourir une partie de l’itinéraire qu’il s’est fixé, des reliefs du Mercantour aux rives du Cotentin. Résultat, un film en mouvement permanent qui se révèle indissociable de son interprète principal, cet homme brisé que Jean Dujardin incarne avec une vulnérabilité qu’on ne lui connaissait pas encore et qu’il met au service de cet homme passé au plus près de la mort et renforcé comme jamais dans son appétit de vivre en faisant bénéficier les autres de son expérience de miraculé en quête de rédemption. La beauté de ce film réside dans sa faculté à nous tendre un miroir dans lequel chaque spectateur choisira ses propres éclats d’intimité. C’est aussi sa vertu singulière.
Jean-Philippe Guerand
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