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“Sept hivers à Téhéran” de Steffi Niederzoll



Sieben Winter in Teheran Documentaire germano-français de Steffi Niederzoll (2022), avec Zar Amir Ebrahimi (voix), Reyhaneh Jabbari, Shole Pakravan, Fereydoon Jabbari, Shahrzad Jabbari, Sharare Jabbari… 1h37. Sortie le 29 mars 2023.



Reyhaneh Jabbari


Précisons-le d’emblée, ce documentaire évoque une affaire criminelle survenue en 2007 qui trouve un écho troublant dans la société iranienne en fusion d’aujourd’hui. Sur le point d’être violée, Reyhaneh Jabbari y a poignardé son agresseur et s’est retrouvée inculpée de meurtre puis condamnée à mort. Un cas emblématique du peu de considération du régime des Mollahs pour les femmes qui résonne a posteriori comme annonciateur de la fronde actuelle et fait écho à un autre film sorti l’été dernier, Les nuits de Mashhad du réalisateur iranien installé en Scandinavie Ali Abbasi, inspiré quant à lui d’une fameuse affaire criminelle située en 2001. Dans les deux cas, le passé permet d’éclairer le présent d’une lumière nouvelle qu’on pourra considérer comme prophétique. Avec un autre fil rouge en la personne de la comédienne iranienne réfugiée en France Zar Amir Ebrahimi qui prête sa voix à ce documentaire après avoir obtenu le Prix d’interprétation féminine à Cannes l’an dernier dans un rôle de journaliste en immersion. C’est dire les divers motifs de résonance de ce fait divers emblématique d’une société campée depuis des lustres sur un aveuglement et un obscurantisme anachroniques qui se retournent désormais contre elle après avoir été étouffés aux yeux de la communauté internationale, malgré les innombrables lanceurs d’alerte sortis des rangs de sa diaspora en exil pour sensibiliser le reste du monde aux souffrances de son peuple.



Shole Pakravan



Sept hivers à Téhéran est le premier long métrage de la réalisatrice Steffi Niederzoll qui reconstitue méticuleusement cette affaire criminelle largement ignorée en Occident, mais médiatisée en Allemagne où vivait l’un des oncles de Reyhaneh Jabbari. Une tentative d’investigation qui passe par une utilisation inventive des divers outils cinématographiques à sa disposition et inclut une présence de l’accusée à travers des enregistrements sonores d’époque. Une voix surgie du néant indissociable de la dimension tragique particulièrement poignante de ce film d’investigation atypique qui réunit des témoignages de la famille et des proches, pour la plupart exilés, notamment en Turquie, mais aussi des documents vidéo et des films familiaux exfiltrés clandestinement qui chroniquent des moments ordinaires de la vie sous un régime autoritaire qui a appris à se méfier du poids des images. Avec en prime des plans tournés à l’instigation de la réalisatrice par des volontaires “de l’intérieur” qui ont agi à leurs risques et périls pour mettre des images sur les mots que prononcent les différents témoins et intervenants sollicités par Steffi Niederzoll. La puissance d’évocation de ce film doublement primé à la Berlinale croise deux préoccupations contemporaines fondamentales de la République islamique : le fossé abyssal qui s’est creusé entre son régime politique anachronique et les aspirations de son peuple en phase avec son temps, mais aussi le poids d’une communauté féminine à la pointe d’une révolte en forme de révolution qui s’est déjà soldée par plus d’un demi-millier de morts à ce jour. Reyhaneh Jabbari apparaît rétrospectivement comme l’une des premières martyres de cette juste cause

Jean-Philippe Guerand







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