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“Saules aveugles, femme endormie” de Pierre Földes



Film d’animation franco-luxembourgo-canado-néerlandais de Pierre Földes (2022), avec (voix) Amaury de Crayencour, Mathilde Auneveux, Arnaud Maillard, Bruno Paviot, Féodor Atkine, Pierre Földes, Laurent Stocker, Jean-Pierre Kalfon, Marie-Christine Barrault, Noée Abita, Théophile Baquet, Julien Crampon, Damien Zanoly… 1h40. Sortie le 22 mars 2023.





Novelliste de génie, l’écrivain japonais Haruki Murakami est cité depuis au moins deux décennies comme l’un des plus sérieux favoris au Prix Nobel de littérature. Il s’est imposé dans ce créneau particulier comme l’un des plus dignes héritiers d’Edgar Poe, Dino Buzzati et Roald Dahl par sa capacité à aller à l’essentiel en quelques pages, avec un goût prononcé pour les cultures étrangères et plus particulièrement la civilisation européenne. Son œuvre n’a pourtant guère inspiré au cinéma que peu de films marquants, à l’exception notable de Burning (2018) de Lee Chang-dong et Drive My Car (2021) de Ryûsuke Hamaguchi. Le cinéaste Pierre Földes a sélectionné plusieurs nouvelles qu’il va parfois jusqu’à enchevêtrer en choisissant pour épicentre le tsunami dévastateur de 2011 et les traumatismes durables qu’il a engendrés. Un tremblement de terre et un raz de marée qui suscitent dans ce film d’animation des réactions exacerbées et engendrent des phénomènes étranges. Saules aveugles, femme endormie (Belfond, 2008) est un recueil dont le titre reflète la poésie parfois à la lisière du surréalisme. Le film puise toutefois son inspiration dans deux autres ouvrages de l’auteur, tant ses écrits se répondent et résonnent avec une rare cohérence. Il regroupe en fait divers textes dont les titres reflètent la singularité : Crapaudin sauve Tokyo, Un ovni a atterri à Kushiro, Le jour de ses vingt ans, Le petit grèbe, Saules aveugles femme endormie, L’oiseau à ressort et Les femmes du mardi.





Fils d’un autre réalisateur de talent, le pionnier de l’animation informatique d’origine hongroise Peter Földes (1924-1977), prix du jury du court métrage à Cannes en 1974 pour Hunger et César du meilleur court métrage d’animation en 1978 pour Rêve, Pierre Földes est un transfuge de la musique. C’est sans doute ce qui lui confère un sens du tempo qui fait d’autant plus merveille dans Saules aveugles, femme endormie qu’il va de pair avec d’autres partis pris esthétiques assumés : de rares mouvements de caméra, des plans fixes, des décors parfois esquissés, des protagonistes assez peu nombreux, des personnages secondaires délibérément traités comme des ombres sinon des spectres et quelques passerelles entre ces différents groupes humains. Face à ce spectacle d’une rare élégance et à ses échappées dans un monde alternatif où l’irrationnel s’immisce en plein cœur du quotidien, les sentiments les plus multiples nous submergent. La mise en scène nous entraîne dans un univers aussi mystérieux qu’exotique où règnent l’étrange et le merveilleux, mais aussi le cocasse et la mélancolie. Le tout en compagnie d’une grenouille de deux mètres de haut, d’un lombric géant et d’autres figures symboliques qui constituent un bestiaire fantastique, au propre comme au figuré. Avec une spécificité notoire pour un film d’animation : celui-ci s’adresse en priorité aux adolescents et aux adultes… surtout s’ils sont parvenus à conserver intacte leur âme d’enfants et toute leur capacité à s’émerveiller.

Jean-Philippe Guerand





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