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“Mon crime” de François Ozon



Film français de François Ozon (2022), avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussollier, Édouard Sulpice, Félix Lefebvre, Régis Laspalès, Michel Fau, Myriam Boyer… 1h42. Sortie le 8 mars 2023.



Rebecca Marder et Nadia Tereszkiewicz



Cinéaste prolifique au rythme de métronome, François Ozon n’a pas son pareil pour passer d’un genre à l’autre en variant les plaisirs. C’est au lendemain de sa deuxième adaptation d’une pièce de Rainer Werner Fassbinder, Peter von Kant, qu’il s’est tourné une nouvelle fois vers ce théâtre de boulevard qui lui a déjà inspiré deux de ses plus grands succès, Huit femmes (2002) et Potiche (2010). Il en emprunte cette fois l’argument à une pièce policière signée en 1934 par Georges Berr (auteur oublié qui a tout de même inspiré Le million à René Clair) et son compère Louis Verneuil, tombée aujourd’hui dans le domaine public. Une jeune comédienne accusée d’un meurtre dont elle se prétend innocente choisit pour la défendre sa meilleure amie, elle-même avocate débutante avec qui elle partage une vie de dénuement. Une stratégie qui va apporter la reconnaissance et la célébrité qu’elles attendaient à ces deux donzelles déterminées à se faire un nom, chacune dans son domaine. Loin de bouder son plaisir, Ozon associe deux comédiennes en devenir, Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder, d’ailleurs récemment en concurrence pour le César du meilleur espoir féminin qu’a finalement obtenu la première. Il s’offre en outre des seconds rôles de choix en la personne d’Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussollier, Félix Lefebvre, Régis Laspalès, Michel Fau et Myriam Boyer. Le tout dans une reconstitution clinquante des années 30, de leurs mœurs dissolues, de leur insouciance illusoire et du style art-déco dont témoigne aujourd’hui encore le cinéma de cette époque.



Dany Boon et Fabrice Luchini



Mon crime revendique ses conventions bourgeoises, son interprétation appuyée et des rouages dramatiques qui ont fait leurs preuves. Avec cette savoureuse cerise sur le gâteau que constitue au second degré une chronique de l’arrivisme solidement inscrite dans son époque qui ménage à chacun des protagonistes son morceau de bravoure. Un plaisir communicatif qui passe aussi par la direction d’acteurs qu’imprime Ozon, rompu à cet art coupable mais bénéfique qui consiste à se positionner d’emblée comme le premier spectateur de son film pour s’assurer que la moindre réplique fait mouche. Résultat : les plus petits rôles y trouvent leur compte sans bouder leur plaisir ni se sentir obligés de surjouer, par frustration de tenir un rôle trop bref. D’une pièce qu’on aurait pu croire surannée, comme Marcel Lherbier et plus tard Alain Resnais en ont maintes fois portées à l’écran, François Ozon tire une comédie virevoltante d’une rare élégance qui se savoure comme une friandise mais n’a jamais le mauvais goût d’écœurer. Parce qu’il manie le cinéma en esthète sans chercher à nous en mettre plein les yeux. Il déroule d’ailleurs cette comédie de l’arrivisme sans se montrer à aucun moment dupe de son sujet, ni s’enivrer de mots d’auteur ronflants ou du cabotinage de ses interprètes auxquels il tient la bride sur le cou, sans pour autant leur interdire de se faire plaisir… et de nous charmer, chacun sur son registre bien particulier et sans modération.

Jean-Philippe Guerand




Nadia Tereszkiewicz

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