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“Los reyes del mundo” de Laura Mora




Film colombo-norvégo-luxembourgo-mexico-français de Laura Mora (2022), avec Carlos Andrés Castañeda, Davison Florez, Brahian Acevedo, Cristian Campaña, Cristian David Duque, Jacqueline Duque, Luis Eduardo Benjumes, Violeta Zabala, Esteher Posada Arias, Maria Adela Villa… 1h51. Sortie le 29 mars 2023.





Cinq enfants livrés à eux-mêmes dans les rues de Medellin voient leur avenir s’éclairer lorsque l’un d’eux se découvre bénéficiaire d’une mesure gouvernementale qui permet à des familles de faire valoir leurs droits sur les terres dont elles ont été chassées par les paramilitaires. Ils entreprennent de se mettre en quête de cet eldorado avec la perspective d’une vie meilleure… Derrière son titre d’une ironie dérisoire, Los reyes del mundo s’attache à une utopie qui a le mérite de redonner un sens à la vie de ces gamins condamnés à la misère et à tous les dégâts collatéraux qu’elle implique. Laura Mora décrit sans la moindre complaisance une société rongée par la misère et la violence où la survie est devenue un enjeu capital dès le plus jeune âge. Ce film implacable s’inscrit dans la continuité logique de ces sociétés sud-américaines sans foi ni loi qui ont pu inspirer à des décennies de distance des œuvres aussi accablantes que Los olvidados (1950) de Luis Buñuel, au Mexique ou Pixote, la loi du plus faible (1980) d’Hector Babenco. À travers l’équipée de ces enfants livrés à eux-mêmes dans un pays qui ne veut pas d’eux, le film écoute battre le pouls d’une société dont le cinéma s’attache généralement aux centres urbains, mais s’aventure dans un arrière-pays rarement représenté à l’écran. Et là, le constat est implacable, tant la misère paraît endémique pour ces enfants qui ne revendiquent qu’une place à eux dans un monde qui s’est toujours montré délibérément hostile à leur égard.





En choisissant de se concentrer sur ces damnés de la terre, la réalisatrice exorcise des images qui ont hanté sa jeunesse lorsqu’elle sillonnait la Colombie dans la voiture de ses parents et percevait l’injustice sociale flagrante en usage dans ce pays rongé par la délinquance et la misère. Elle s’élève donc ici en quelque sorte contre cette fatalité en s’attachant à ce qui ressemble à la quête d’un Graal dérisoire. Ces “rois du monde“ lancés à la poursuite d’une vie meilleure hypothétique, elle les met en scène comme des chevaliers sans armure aux prises avec un monde qui ne veut pas d’eux s’ils n’acceptent pas de servir ses intérêts en se soumettant à ses lois iniques. Malgré ce pessimisme désespéré, il émane de ce conte cruel d’une jeunesse sans avenir une véritable force de vie qui doit autant au regard compatissant de la réalisatrice (on serait tenté de dire “protecteur”) qu’à la personnalité de ses jeunes interprètes dépeints à un âge où tout semble encore possible pour peu qu’ils parviennent à échapper au poids de la fatalité. Sous les faux-semblants d’un film d’apprentissage sans issue se niche en effet une authentique tragédie au travers de laquelle affleure la survivance anachronique d’une masculinité synonyme de survie dont la réalisatrice souligne la fatalité mortifère. Ce qui ne l’empêche pas pour autant de compatir par un espoir illusoire au sort pourtant scellé de ses jeunes aventuriers nés pour devenir les victimes expiatoires d’une société en proie à une malédiction auto-immune.

Jean-Philippe Guerand






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