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“Le capitaine Volkonogov s’est échappé” de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov




Kapitan Volkonogov bezhal Film russo-franco-estonien de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov (2021), avec Yuriy Borisov, Timofey Tribuntsev, Nikita Koukouchkine, Aleksandr Yatsenko, Vladimir Epifantsev, Natalya Kudryashova, Yuriy Stoyanov, Igor Savochkine, Vitaliya Kornienko, Maxim Stoyanov, Viktoriya Tolstoganova… 2h05. Sortie le 29 mars 2023.






Le passé est bien souvent la façon la plus efficace d’évoquer le présent. Difficile, en l’occurrence de dissocier Le capitaine Volkonogov s’est échappé de la situation actuelle de la Russie et de sa radicalisation consécutive à l’invasion coloniale de l’Ukraine. Certes, le film a été tourné avant le déclenchement de ce conflit majeur, mais le pays en portait en germe les prémices depuis un certain temps, comme en témoignaient les spécialistes de géopolitique les plus vigilants. Par ailleurs, ses réalisateurs ont été contraints à l’exil et la sortie de leur film interdite. C’est dire combien son caractère prophétique est jugé pernicieux sinon défaitiste pour le régime de Vladimir Poutine. Sa description des purges staliniennes se déroule en 1938 du point de vue d’un officier en fuite qui va chercher à sauver son âme en se repentant auprès de ses victimes afin de solliciter leur pardon. Une vision fulgurante de la Grande Terreur, ce massacre organisé qui s’est déroulée d’août 1937 à novembre 1938, à travers un chasseur transfiguré en gibier traqué dans un monde déshumanisé dont l’architecture monumentale évoque parfois certains dessins d’Enki Bilal.






Cette évocation historique éclairée rétrospectivement par le poids de l’histoire se déroule dans des décors monumentaux qui écrasent littéralement ses protagonistes et passe par le déchaînement d’une violence qui confine parfois à la barbarie pour évoquer une période clé de l’histoire de l’Union soviétique qui prête à tous les fantasmes, mais a davantage inspiré la littérature que le cinéma pour des raisons évidentes de censure. Dans l’URSS de 1938, le patriotisme écrasait tout sur son passage, comme l’exaltait le maître Sergeï Eisenstein dans Alexandre Nevski sous couvert de dénoncer les velléités germaniques d’envahir le monde… Présenté en compétition à la Mostra de Venise en 2021, Le capitaine Volkonogov s’est échappé est un spectacle éprouvant qui malmène le spectateur en l’entraînant dans une sorte de cauchemar historique où le malaise naît de la violence qui s’y manifeste. Aujourd’hui attelés à une transposition contemporaine d’Anna Karénine pour Netflix, Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov y appliquent leur doctrine personnelle selon laquelle « l’inspiration de nos films découle principalement de nos craintes et de nos appréhensions ».






Les réalisateurs se concentrent à l’unisson sur le sort d’un homme égaré au beau milieu d’un monde qui lui échappe, mais dont il a figuré parmi les artisans : un jouet du pouvoir qui se trouve confronté à ses responsabilités, alors qu’il n’a fait qu’exécuter des ordres, aussi iniques aient-ils pu être. À travers ce personnage qui semble moins en quête d’expiation que de sauver sa peau, ce sont les vestiges d’une société en pleine décadence qui affleurent, vus à travers le prisme de ce que les historiens nous ont révélé a posteriori de l’ampleur des purges staliniennes. Un anachronisme assumé qui éclaire cette période d’un jour que le cinéma a encore du mal à assumer, même si l’on a pu en percevoir quelques avant-goûts dans certains films de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland dont L’ombre de Staline (2019) au titre français si éloquent. Le capitaine Volkonogov s’est échappé s’inscrit davantage dans la mouvance du cinéma visionnaire de Kirill Serebrennikov, cet autre metteur en scène russe aujourd’hui condamné à l’exil. Cette variation fantasmagorique située dans une Leningrad à l’architecture écrasante est indissociable de la personnalité de son interprète principal, Yuriy Borisov, qui occupe l’écran avec une rare présence après son rôle marquant dans La fièvre de Petrov. Cette course éperdue lui doit aussi beaucoup.

Jean-Philippe Guerand




 

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