Film franco-maroco-belgo-danois de Maryam Touzani (2022), avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui, Mounia Lamkimel, Abdelhamid Zoughi, Zakaria Atifi, Fatima Hilal, Mariam Lalouaz… 2h02. Sortie le 22 mars 2023.
Lubna Azabal et Saleh Bakri
C’est une histoire simple, mais pourtant infiniment compliquée. Celle d’un couple qui tient un magasin de caftans au cœur de la médina de Salé, au Maroc, et partage une complicité que la durée de leur mariage n’a fait que renforcer. Au point de dissimuler un secret qui aurait pu briser leur union en d’autres circonstances : Halim refoule son homosexualité aux yeux d’une société qui ne saurait la tolérer et Mina est la première à le protéger. Jusqu’au moment où se présente un jeune apprenti qui va mettre en péril cet équilibre précaire… Révélée par son premier film, Adam, après avoir collaboré aux scénarios de Much Loved (2015), Razzia (2017) et Haut et fort (2021) qu’a réalisés son mari, Nabil Ayouch, Maryam Touzani aborde un sujet infiniment délicat sinon tabou dans le Maroc d’aujourd’hui, avec une rare délicatesse. Elle choisit pour cela un personnage principal taiseux dont les certitudes commencent à vaciller lorsqu’il se trouve confronté à ses pulsions trop longtemps retenues, au moment même où son épouse commence à manifester des signes de faiblesse et consacre ses ultimes forces à assurer le bonheur de son futur veuf muré en lui-même. Un sujet magnifique traité avec une délicatesse extrême qui s’appuie sur la direction d’acteurs et joue davantage sur les non-dits et les silences feutrés que sur une logorrhée artificielle. Comme si la forme du film épousait son propos : cette retenue des sentiments dans une société corsetée dont la liberté ne peut s’épanouir que dans la clandestinité.
Ayoub Missioui et Saleh Bakri
Si une actrice se jauge à ses choix, Lubna Azabal est un modèle insurpassable au sein de sa génération. Chaque rôle est pour elle un enjeu majeur dans lequel elle jette toute son énergie. Celui qu’elle tient dans Le bleu du caftan est emblématique de son exigence. Elle y incarne une femme qui a passé son existence à aider son tailleur de mari à dissimuler sa véritable nature et va tout mettre en œuvre, au moment de mourir, pour s’assurer qu’il lui survive en étant heureux et en accord avec ses inclinaisons les plus intimes. Un sujet particulièrement audacieux qui témoigne de l’engagement de Maryam Touzani pour tenter de faire bouger les lignes des mœurs dans un royaume chérifien où l’homosexualité ne peut encore se concevoir que hors de portée du regard des autres. C’est cette hypocrisie institutionnalisée que stigmatise ce beau film porté par trois interprètes habités par leurs personnages qui repose pour une bonne part sur la puissance de suggestion d’une mise en scène réglée au cordeau et ponctuée d’une symbolique discrète. Au-delà du trio complice autour duquel il se concentre, Le bleu du caftan s’attache en quelque sorte à un microcosme alternatif qui vit en toute discrétion, sans totems ni tabous, en marge de la sphère publique. Avec, en filigrane, une critique en bonne et due forme de l’hypocrisie lorsqu’elle est érigée au statut injuste de doctrine morale.
Jean-Philippe Guerand
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