Film français de Martin Jauvat (2022), avec Mahamadou Sangaré, Martin Jauvat, William Lebghil, Sébastien Chassagne, Nicolas Grindatto, Garance Kim, Anaïde Rozam, Erwin Aureillan, Marguerite Thiam, Suzanne Daum, Georges Pillegand, Mahaut Adam, Darius… 1h12. Sortie le 29 mars 2023.
Mahamadou Sangaré et Martin Jauvat
Il fut un temps pas si lointain que cela où le cinéma indépendant était astreint au dénuement par essence. Tel n’est plus le cas aujourd’hui où l’avènement du numérique a en quelque sorte démocratisé ses outils et donné les moyens aux productions les plus modestes de jouer dans la cour des grands sans avoir à en rougir outre mesure. Un paramètre à prendre en compte quand on découvre un film comme Grand Paris. La virée nocturne de deux banlieusards qui zonent sur le tracé d’une future ligne de métro francilienne en jachère et découvrent dans son chantier un mystérieux objet dont ils vont tenter d’élucider la nature véritable. Prétexte à une enquête qui va les mener au cœur de l’Île-de-France au fil de rencontres parfois pittoresques… De ce postulat minimal mais propice à toutes les fantaisies, le réalisateur autodidacte Martin Jauvat tire un premier long métrage d’autant plus attachant qu’il croise les conventions du Road Movie traditionnel avec un portrait craché de notre époque de grande confusion, au hasard d’un territoire qui arbore quelques stigmates des aventures qu’il a traversées. Le tout en compagnie d’une poignée de personnages eux aussi atypiques qui réussissent à nous embarquer dans leur folie douce le plus naturellement du monde, avec une prédilection affirmée pour les répliques qui font mouche et une délicieuse nonchalance. Résultat, une comédie à l’écoute de son époque qui exalte une figure en perte de vitesse : le glandeur. Le tout produit par un expert en la matière, le producteur Emmanuel Chaumet qui a déjà accompagné du court au long des réalisateurs aussi talentueux que Justine Triet, Sophie Letourneur, Benoît Forgeard, Antonin Peretjatko, Bertrand Mandico ou Jean-Christophe Meurisse. Toujours avec la même liberté.
Sébastien Chassagne et Mahamadou Sangaré
Grand Paris est un film atypique qui adopte les conventions de l’errance pour mieux les dynamiter. Au point de s’offrir une incursion dans la science-fiction qui tranche avec les conventions du jeune cinéma français traditionnel par son audace assumée. Comme pour nous signifier qu’il n’est pas interdit de rêver, même quand on semble condamné à zoner entre les champs et les terrains vagues de l’Essonne et du Val d’Oise. Non content d’aller au bout de son rêve de cinéma sans le moindre complexe, Martin Jauvat s’offre l’un des deux rôles principaux de son film avec Mahamadou Sangaré (vu dans Le monde est à toi de Romain Gavras) et des partenaires aussi singuliers que William Lebghil (pour qui il avait déjà écrit son court Le sang de la veine), Sébastien Chassagne (qu’il a aussi dirigé dans son court Mozeb), Anaïde Rozam ou Marguerite Thiam, lesquels partagent une même singularité en nous entraînant parmi un quotidien susceptible de basculer à tout moment dans une autre dimension. Sous ses dehors de comédie générationnelle, cette chronique dans l’air du temps réussit la prouesse de transcender la morosité du quotidien le moins glamour en suggérant que le saugrenu va parfois jusqu’à se nicher dans les détails, comme l’ont d’ailleurs maintes fois souligné Steven Spielberg et ses épigones dans les années 80. Reste maintenant à savoir si Jauvat persévèrera dans cette voie et entraînera ainsi le cinéma français au-delà des limites de cet esprit cartésien qu‘il semble incapable de transcender par nature. C’est tout le mal qu’on lui souhaite, tant il a besoin de ce nouveau souffle pour se renouveler et investir ces territoires en friche de la Grande Couronne où semble devoir se jouer une partie de notre avenir commun.
Jean-Philippe Guerand
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