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“Emily” de Frances O’Connor



Film britannique de Frances O’Connor (2020), avec Emma Mackey, Alexandra Dowling, Fionn Whitehead, Oliver Jackson-Cohen, Amelia Gething, Adrian Dunbar, Gemma Jones, Harry Anton, Sacha Parkinson, Robert Pickavance, Elijah Wolf, Philip Desmeules… 2h10. Sortie le 15 mars 2023.



Emma Mackey



La famille Brontë fascine le cinéma depuis des lustres et lui a inspiré des variations pour le moins multiples. D’abord, à travers à l’adaptation de ses romans les plus célèbres qui nourrit l’imaginaire anglo-saxon à jet continu, que ce soit au cinéma ou sous l’égide des productions patrimoniales de la BBC. Charlotte l’aînée est morte à 38 ans, Anne la benjamine à 29 ans et Emily la cadette à 30 ans de la tuberculose. Des existences très brèves pour une œuvre immortelle née de la plume de trois filles de pasteur consacrées pour l’essentiel post mortem. À l’exception notable de l’unique roman d’Emily, “Les hauts de Hurlevent”, toutefois éclipsé en son temps par le succès de “Jane Eyre”, publié la même année par sa sœur Charlotte. Ce roman foisonnant où affleure son admiration pour Lord Byron a inspiré à lui seul une dizaine d’adaptations plus ou moins fidèles à des cinéastes aussi différents que William Wyler, Luis Buñuel, Jacques Rivette, Yoshishige Yoshida, Peter Kosminsky et Andrea Arnold. Avec Emily, la comédienne Frances O’Connor s’attache en quelque sorte à la face cachée de cette tribu, celle qui s’est sacrifiée pour les autres et qu’incarne à l’écran Emma Mackey sur le registre de la discrétion et de la sauvagerie, comme absorbée par son clan familial et empêchée de s’épanouir indépendamment de ses sœurs avec lesquelles elle partage un goût prononcé pour la poésie. Un rôle marqué entre autres par les compositions d’Ida Lupino dans La vie passionnée des sœurs Brontë (1946) de Curtis Berhardt et d’Isabelle Adjani dans Les sœurs Brontë (1979) d’André Téchiné.



Emma Mackey



Emily perpétue une certaine tradition britannique d’élégance dont l’un des chantres fut pourtant le réalisateur américain James Ivory sur le registre du “film d’époque”. L’une des particularités de ce destin est d’être connu essentiellement par ce qu’en a rapporté sa sœur Charlotte après sa disparition, sans qu’il soit possible de distinguer aujourd’hui le vrai du faux, faute d’autres témoignages fiables. C’est tout l’intérêt de la démarche de Frances O’Connor de raconter cette vie constellée de zones d’ombre, sans jamais nous amener à douter de son authenticité, mais en en colmatant elle-même les brèches. Elle utilise pour cela les moindres ressources du cinéma, aussi bien sur le plan dramatique qu’artistique. Avec cette importance accordée à la lande battue par les vents qui sert de cadre si photogénique aux romans les plus fameux des Brontë. Rompue en tant que comédienne au romantisme le plus échevelé, Frances O’Connor signe un premier film qui assume son classicisme en s’en remettant à des interprètes impeccables, sans jamais que le lyrisme de son sujet ait besoin d’être souligné par le moindre artifice. Emma Mackey s’empare de son personnage avec une fièvre beaucoup plus convaincante que sa composition un peu désincarnée dans Eiffel et réussit la prouesse d’incarner Emily Brontë sans jamais la confondre avec l’un de ses personnages romanesques, séparant avec habileté l’artiste et la modèle, l’amoureuse transie de la femme de lettres assaillie par son inspiration mais retenue par son devoir vis-à-vis de sa famille. La beauté d’Emily repose sur sa faculté à assumer son classicisme sans jamais succomber à la tentation de l’académisme ou du tape-à-l’œil.

Jean-Philippe Guerand






Emma Mackey, Alexandra Dowling

et Gemma Jones

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