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“De grandes espérances” de Sylvain Desclous



Film français de Sylvain Desclous (2022), avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Marc Barbé, Pascal Elso, Thomas Thévenoud, Cédric Appietto, Jean-Emmanuel Pagni, Pascal Rénéric, Aurélie Marpeaux, Holy Fatma, Marie-Pierre Nouveau… 1h45. Sortie le 22 mars 2023.



Rebecca Marder



Madeleine et Antoine ont tout pour être heureux : un avenir professionnel souriant, des valeurs partagées et une idylle sans nuages. Jusqu’à ce jour où une altercation où le ciel leur est tombé sur la tête quand une altercation avec un conducteur sur une route de Corse a tragiquement dégénéré… De ce sujet de thriller, Sylvain Desclous tire un drame psychologique à très haute tension qui enferme petit à petit ses protagonistes dans un piège. Son scénario est une machine infernale qui observe les conséquences que peuvent parfois engendrer certains aléas de l’existence sur des destins a priori tout tracés. Un sujet qui s’inscrit dans la continuité du précédent opus du réalisateur, le documentaire de téléréalité La campagne de France dans lequel il observait l’impact psychologique et humain suscité par l’irruption d’un candidat surgi de nulle part au beau milieu d’une élection locale. Ce n’est pas un hasard si le titre de son nouveau film paraphrase celui d’un célèbre roman de Charles Dickens. Avec à la clé une citation d’Antonio Gramsci qui dit que « lorsque l’on veut détourner un avion, il faut d’abord monter dedans ». De grandes espérances s’attache à un jeune couple ambitieux qui entend accéder à des fonctions élevées pour infiltrer un système abandonné aux élites et le contraindre à changer de l’intérieur. Il s’en remet pour cela au couple à l’écran comme dans la vie que composent Rebecca Marder et Benjamin Lavernhe auxquels leur passage en commun par la Comédie Française a enseigné les moindres subtilités du jeu d’acteur et pourvu d’une capacité d’adaptation à toute épreuve.



Rebecca Marder et Benjamin Lavernhe



Derrière l’intrigue policière se profilent plusieurs autres genres cinématographiques qu’elle nourrit. À commencer par une critique sociale acerbe qui passe par la personnalité de l’ambitieuse Madeleine qui incarne par ses origines modestes et sa réussite universitaire une certaine revanche de classe et la menace qu’elle pourrait faire peser sur les institutions en introduisant en quelque sorte le ver dans le fruit. Le film poursuit en cela deux propos étroitement imbriqués et exprime notamment à travers ses dialogues les paradoxes d’un système élitiste qui prône la mixité sociale, mais se contente trop souvent de couler ses recrues dans un moule préfabriqué afin de préserver son intégrité. Un conservatisme qu’incarne dans le film la représentante de cette caste campée par Emmanuelle Bercot avec une jubilation communicative. Avec à l’opposé le réflexe de survie que manifeste Madeleine en renouant avec son aventurier de père (le formidable Marc Barbé) car il présente l’avantage de posséder des codes auxquels elle a renoncé en allant au bout de ses ambitions et en essayant de couper les ponts avec ses origines afin de mieux s’intégrer dans son nouveau milieu sans avoir à se justifier. De grandes espérances renoue avec une thématique rarement abordée dans le cinéma contemporain, celle de l’ascension sociale chère à la littérature du XIXe siècle que la société contemporaine a tenté d’aplanir en érigeant la ségrégation positive en dogme politique, non sans une démagogie populiste parfois à la lisière de la complaisance. Reste que les élites s’accrochent à leur pouvoir et que Sylvain Desclous dénonce ici leur emprise avec une férocité assumée.

Jean-Philippe Guerand








Rebecca Marder et Marc Barbé

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