Film belgo-luxembourgo-helvéto-français de François Pirot (2022), avec Jérémie Renier, Suzanne Clément, Jean-Luc Bideau, Samir Guesmi, Jackie Berroyer, Lisa Harder, Bérangère McNeese… 1h43. Sortie le 29 mars 2023.
Jérémie Renier
Un beau matin, comme ça, sans raison, un bourgeois tranquille décide de prendre la clé des champs et de jouer les Robinson Crusoë, en s’enfonçant dans la forêt qui borde sa propriété où son épouse resasse quant à elle son mal de vivre. Contrairement à ce que son point de départ pourrait suggérer, Ailleurs si j’y suis relève moins du drame existentiel que du conte moral et s’autorise même quelques échappées dans le burlesque le plus débridé qui font dire au réalisateur que son film est “mélancomique”. C’est en suivant un cerf que cet homme au bout du rouleau va décider de façon impromptue d’aller au bout de lui-même et assumer son rejet de sa vie en prenant le maquis, au sens propre autant qu’au figuré. Ce point de non-retour constitue pour le réalisateur le prétexte à une prise de conscience de son entourage et à une réaction en chaîne qui explore plusieurs motifs dans l’air du temps. Le réalisateur s’en remet pour cela à trois acteurs qui s’identifient très intimement à leurs personnages pour les pousser dans leurs ultimes retranchements existentiels. Il y a d’abord celui par qui le scandale arrive que campe magistralement Jérémie Rénier en endossant tous les risques de son rôle avec une candeur protectrice. Son épouse névrosée est incarnée par Suzanne Clément, toujours merveilleuse dans les emplois de foldingues, qui craint moins ici pour sa raison que pour son statut social et redoute avant tout d’avoir à affronter le regard des autres. Le patron paternaliste de l’ermite est interprété quant à lui par Jean-Luc Bideau qui retrouve là la tonalité des personnages qui le révélèrent il y a un demi-siècle dans les films du jeune cinéma suisse, qu’il s’agisse de La salamandre (1971) d’Alain Tanner, Les arpenteurs (1972) de Michel Soutter ou L’invitation (1973) de Claude Goretta, avec cette pointe de folie douce qu’il manifestait dans les comédies au vitriol de Patrick Schulmann.
Suzanne Clément
Ailleurs si j’y suis est une invitation au voyage solidement ancrée dans le monde post-Covid-19 dont les protagonistes se posent des questions fondamentales un peu malgré eux. Comme si le brusque sursaut de l’un d’eux engendrait une prise de conscience plus vaste. Le cinéaste belge François Pirot, qui a notamment coécrit trois films de son compatriote Joachim Lafosse et s’est adjoint ici les services d’Emmanuel Marre, lui-même coréalisateur de Rien à foutre, évite toutefois habilement la tentation de la solennité. Pas question pour lui de jouer les oracles. Son personnage principal ne quitte d’ailleurs pas tout pour un but précis, mais pour rompre avec son destin trop tracé. Le film s’attache avant tout à l’humanité de cette faune engluée dans un train de vie confortable et soudainement contrainte de remettre en question non seulement son statut, mais aussi ses aspirations les plus enfouies. Avec un goût prononcé pour les personnages décalés, à l’instar de ce père si peu présentable qu’interprète le délicieux Jackie Berroyer ou de cet ami de cœur déstabilisé auquel Samir Guesmi prête sa fantaisie naturelle. Il émane de cette tranche de vie une humanité chaleureuse qui a le charme de nous intégrer à part entière en plein cœur de sa problématique et possède une capacité singulière à poser des questions fondamentales en nous prenant à témoin. La structure chorale du film va en outre de pair avec une bande originale confiée au compositeur classique belge Benoît Mernier dont cette première contribution pour le cinéma instaure une atmosphère singulière. Sous la légèreté apparente, affleurent en effet ici quelques questions fondamentales que le film aborde sans jamais se prendre trop au sérieux ou verser dans l’arrogance ni la suffisance.
Jean-Philippe Guerand
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