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“Un homme heureux” de Tristan Séguéla



Film français de Tristan Séguéla (2022), avec Fabrice Luchini, Catherine Frot, Philippe Katerine, Artus, Camille Le Gall, Grégoire Bonnet, Agnès Hurstel, Bastien Ughetto, Paul Mirabel, Thomas VDB… 1h29. Sortie le 15 février 2023.



Catherine Frot



Les comédies les plus mémorables sont celles qui reflètent leur époque. Une qualité en voie de raréfaction qu’illustre aujourd’hui Un homme heureux, en traitant sous l’angle du rire un sujet de société qui a dépassé le stade du tabou pour devenir une pratique courante, mais encore ignorée dans certains milieux. Monsieur est maire et plutôt tenté de se présenter à un nouveau mandat dont il jure qu’il sera le dernier. Madame, quant à elle, a décidé d’agir enfin selon son cœur en devenant… un homme. Mais il y a désormais un mâle de trop au sein de ce foyer bourgeois exposé au regard de ses concitoyens dans l’ignorance de ce phénomène. La pilule a beau être difficile à avaler pour l’édile cramponné à sa fonction de coq de village, celui-ci redoute davantage le scandale qu’un séisme dans sa vie affective. Il va donc lui falloir conclure un pacte avec sa diablesse d’épouse et respecter son choix pour préserver la paix de son ménage, mais surtout assurer sa réélection en évitant les ravages de la rumeur. Un homme heureux s’inscrit dans la continuité logique de ces jalons populaires de la comédie qui ont contribué à faire bouger les lignes de la morale et des mœurs, de La cage aux folles (1978) à Pédale douce (1996) en passant par Tenue de soirée (1986) et Gazon maudit (1995). Là où Girl et A Good Man traitaient du changement de sexe sur le registre de l’étude de mœurs, le film de Tristan Séguéla vise un public beaucoup plus large qu’il entend rallier à sa cause par le rire, le travestissement figurant parmi les figures de style les plus éprouvées de la comédie de situation, comme en atteste un classique aussi immortel que Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder.



Philippe Katerine, Artus

Fabrice Luchini et Catherine Frot



En optant pour le registre de la comédie de mœurs, Un homme heureux cible à dessein le public le plus large possible. Tristan Séguéla ne boude d’ailleurs jamais son plaisir et choisit d’inviter le spectateur à la réflexion et à la tolérance en utilisant à cet effet les ficelles éprouvées du théâtre de boulevard. Il est servi pour cela par deux orfèvres en la matière, Catherine Frot et Fabrice Luchini, lesquels ne boudent jamais leur plaisir, mais ne sombrent jamais dans la caricature. Le réalisateur soigne en outre sa galerie de seconds rôles, de Philippe Katerine en directeur de campagne à Camille Le Gall en militante trans. Sous couvert d’adopter le parti d’en rire, le film réussit la gageure de ne jamais tourner autour du pot et même de témoigner d’une franche audace dans son discours, en l’inscrivant à dessein dans une France encore très conservatrice sinon réactionnaire. Une tentative salubre de vulgarisation dépourvue de vulgarité qui donne tout loisir aux comédiens de trouver leurs marques, chacun dans son registre. Lui en notable contrarié dans son ambition politique, elle en épouse qui rue dans les brancards sous prétexte de répondre tardivement à l’appel irrésistible de sa nature la plus cachée. Avec en prime une réflexion plus subtile qu’il ne pourrait y paraître sur le poids de l’identité sexuelle dans le contexte d’un pays immuable pour qui cette problématique possède quelque chose d’exotique sinon de profondément déstabilisant. En abordant avec humour un thème de société qui est bien plus qu’anecdotique, Un homme heureux semble paré pour faire bouger les lignes et même peut-être préluder à une vague de films sur cette thématique brûlante et ses retombées psychologiques et morales.

Jean-Philippe Guerand







Catherine Frot et Fabrice Luchini

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