A Hundred Flowers Film japonais de Genki Kawamura (2022), avec Masaki Suda, Mieko Harada, Masami Nagasawa, Masatoshi Nagase… 1h44. Sortie le 1er mars 2023.
Masaki Suda et Mieko Harada
La vieillesse et la dépendance sont des thèmes obsessionnels de notre société qui restent toutefois considérés pour une bonne part comme tabous. C’est en portant à l’écran le roman qu’il a publié en 2019 que le réalisateur Genki Kawamura est passé au long métrage. C’est dire combien lui tenait à cœur cette histoire inspirée du destin authentique de sa propre grand-mère qu’il a vue en proie aux atteintes irrémédiables de la maladie d’Alzheimer. Un sujet pesant pour un traitement d’une dignité exemplaire qui lui a d’ailleurs valu la Conque d’argent de la mise en scène au dernier festival de San Sebastián. Producteur de nombreux films d’animation parmi lesquels les œuvres maîtresses de Makoto Shinkai (Your Name) et Mamoru Hosoda (Les enfants loups), le cinéaste cite également parmi ses références un monument du cinéma japonais : Les contes de la lune vague après la pluie (1953) de Kenji Mizoguchi. Une influence fondamentale qui se manifeste par sa propension à jongler avec la temporalité en tentant d’observer le monde du point de vue de cette femme dont l’esprit se fracture à l’intérieur même des plans séquences qui composent ce puzzle mental. Avec aussi l’importance qu’il confère aux couleurs comme marqueurs visuels de ses deux protagonistes principaux entre lesquels se creuse un abîme vertigineux, de ce jour d’hiver funeste où le fils a retrouvé sa mère errant dans un parc comme une âme en peine par un froid glacial.
Masaki Suda et Mieko Harada
Sous son titre polysémique, N’oublie pas les fleurs nous entraîne dans un monde inconnu parce qu’on n’en revient pas et dont le nom même suscite la terreur par les atteintes irrémédiables qu’il suggère. Genki Kawamura ne se positionne pourtant jamais dans la déploration ou la fatalité. D’une question existentielle fondamentale, il préfère tirer une réflexion affective et philosophique responsable où l’amour filial demeure le plus fort et réussit l’exploit d’intégrer des atteintes irrémédiables. Il choisit par ailleurs pour tenir le rôle délicat de cette femme frappée dans ce qu’elle a de plus essentiel une actrice hors du commun, Mieko Harada, dirigée par l’immense Akira Kurosawa à deux reprises, dans Ran (1985) et Rêves (1990). Ce rôle d’une infinie complexité qu’elle se garde de tirer vers le mélo, elle l’incarne après avoir elle-même consacré en 2020 un court métrage documentaire à la démence de sa propre mère, Actress Hisako Harada abordé comme un jeu à deux voix autour de la mémoire. De là à imaginer que sa composition saisissante dans N’oublie pas les fleurs revêt aussi la forme d’une thérapie intime, il n’y a qu’un pas que ce film d’une insigne dignité nous invite à accomplir avec une pudeur et une tendresse de tous les plans. C’est même sa plus grande vertu que de nous prendre par le cœur en nous invitant à la compassion sans jamais sombrer dans la facilité ni le pathos.
Jean-Philippe Guerand
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