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“Les petites victoires” de Mélanie Auffret



Film français de Mélanie Auffret (2022), avec Michel Blanc, Julia Piaton, Lionel Abelanski, Marie Bunel, Marie-Pierre Casey, Sébastien Chassagne, India Hair, Bruno Raffaelli, Daphné Richard, Adrien Guionnet… 1h30. Sortie le 1er mars 2023.



Michel Blanc



Il est des thématiques qu’on croit à tort d’un autre âge. Parmi celles-ci, l’illettrisme reste un fléau durable qui semble loin d’être éradiqué, y compris en France où les écrivains publics ont réapparu dans certains bureaux de poste. Récemment encore, dans Brillantes de Sylvie Gautier, Céline Sallette campait une technicienne de surface confrontée à ce handicap aussi rédhibitoire qu’infâmant qui ne touche pas que les populations immigrées les plus démunies. Dans Les petites victoires, c’est Michel Blanc qui campe un campagnard dont l’existence et la vie sociale ont été gâchées par son incapacité à lire et à écrire en le coupant des autres. Ce paysan ronchon s’installe un beau jour dans la classe unique de son village afin d’essayer de rattraper le temps perdu. Un sujet qui peut paraître pittoresque mais qui reflète une réalité rarement évoquée et ses conséquences désastreuses. Le fait que ce rôle soit interprété par Michel Blanc n’est nullement innocent. Le comédien a en effet remporté l’un de ses plus beaux succès personnels sous la direction d’Isabelle Mergault en incarnant un agriculteur veuf marié à une Roumaine dans Je vous trouve très beau. Les petites victoires illustre en outre un autre phénomène de société : la désertification des campagnes qui incite l’Éducation Nationale à fermer des classes voire carrément des établissements scolaires faute d’effectifs suffisants.



Michel Blanc et Julia Piaton



Appliquant le précepte qui affirme que les comédies les plus marquantes sont celles qui reflètent la société dans sa vérité du moment, Les petites victoires tire un profit optimum de son propos sans jamais chercher à donner de leçons inutiles. Et ses interprètes y contribuent pour une bonne part, tant ils jouent le jeu sans bouder leur plaisir. Michel Blanc expérimente ainsi cette expérience redoutable qui consiste pour un acteur, aussi rompu à cet art soit-il, à jouer face à des enfants, défi contre nature dont on se souvient combien il avait traumatisé en son temps W. C. Fields. On le sent sur le qui-vive face à ses jeunes partenaires qu’il réussit à charmer et à amadouer par une complicité qui crève l’écran dans une ambiance au fond plutôt bienveillante. Un exploit d’autant plus remarquable que l’inoubliable Monsieur Duss au célèbre planter de bâtons est de toute évidence un illustre inconnu aux yeux de ces bambins pour qui la troupe du Splendid évoque sans doute aussi peu de souvenirs que les Compagnons de la Chanson pour les fans de Bigflo et Oli. Les petites victoires décrit chaleureusement une France rurale abandonnée par les services publics où il devient de plus en plus difficile de grandir sereinement. Sous la comédie se tapit un discours social à contre-courant sur les ravages de la pensée unique et un pays à deux vitesses dont la plus lente frise parfois carrément le point mort, en laissant une partie de la population à la traîne.

Jean-Philippe Guerand






Julia Piaton

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