Al-Sadd Film franco-soudano-libano-germano-serbo-quatarien d’Ali Cherri (2022), avec Maher El Khair, Mudathir Musa, Santino Aguer Ding, Abo Algassim Sir Alkhatim, Aylman Sharif… 1h21. Sortie le 1er mars 2023.
Maher El Khair
Jour après jour, Maher construit des briques qui trempent dans l’eau du Nil. Le soir, il s’aventure dans le désert pour y édifier un édifice personnel. Jusqu’au moment où la révolution soudanaise va donner à son œuvre un véritable pouvoir magique… Le barrage constitue dans l’esprit de son auteur d’origine libanaise le dernier pan d’une trilogie entamée par deux courts métrages conceptuels dont les titres pourraient se traduire par L’intranquille (2013) et Le creuseur (2015). Il y prend pour cadre un ouvrage monumental édifié par les Chinois à l’orée du désert qui se dresse comme un avertissement contre ces crues qui frappent les autochtones depuis des siècles. Avec en arrière-plan la révolution soudanaise qui a éclaté loin de là et a entraîné l’interruption du tournage. Dès lors, ce film s’est imposé comme une parabole socio-politique porteuse d’un message universel à l’attention de ceux qui croient pouvoir disposer de la nature à leur gré en tentant d’imposer leur loi aux éléments. Avec pour épicentre ces jeunes ouvriers qui fabriquent des briques loin de tout, en répétant des gestes transmis de génération en génération, sans même imaginer qu’ils puissent se soulever contre la dictature islamiste sous laquelle ils ont vu le jour, ni même que c’est aussi leur avenir qui en dépend. C’est à travers ces multiples degrés de lecture et son cadre qui évoque la splendeur de l’Égypte antique que Le barrage s’impose comme une œuvre universelle.
Maher El Khair
Au-delà de l’histoire qu’il raconte, Ali Cherri s’interroge sur la notion même du récit avec la complicité de Bertrand Bonello au scénario et s’appuie pour cela sur un personnage omniprésent dont il cadre le regard de façon obsessionnelle, contraignant le spectateur à le fixer droit dans les yeux et à s’imprégner de son intensité accusatrice. Avant de devenir réalisateur, Ali Cherri s’est imposé en tant qu’artiste plasticien, en résidence à la National Gallery de Londres, puis a été couronné l’an dernier du Lion d’argent de la Biennale de Venise pour une œuvre intitulée “Of Men and Gods and Mud” (littéralement “Des hommes et des dieux et de la boue”) dont le titre convient d’ailleurs autant à l’esprit de son film et renvoie à une tradition primitive du cinéma d’animation à travers son utilisation de la pâte à modeler. Le barrage est un film monde au propos universel qui s’aventure parmi des horizons extrêmes du cinéma, en ménageant des échappées poétiques à l’usage des spectateurs pour qui le cinéma est avant tout un langage universel dont la liberté absolue sied particulièrement aux rêveurs éveillés prêts à le pousser dans des horizons lointains et parfois même inexplorés. Ali Cherri est indéniablement l’un des leurs par son audace et son goût de la beauté à toute épreuve. Son invitation au rêve est de celles qui ne peuvent se refuser pour les amateurs de dépaysement.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire