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“Empire of Light” de Sam Mendes



Film britanno-américain de Sam Mendes (2022), avec Olivia Colman, Micheal Ward, Tom Brooks, Tanya Moodie, Hannah Onslow, Crystal Clarke, Toby Jones, Colin Firth, Monica Dolan, Sara Stewart, Ron Cook… 1h59. Sortie le 1er mars 2023.



Micheal Ward et Olivia Colman



2023 a déjà vu pas moins de trois films célébrer l’amour du cinéma. Après Damien Chazelle dans Babylon et Steven Spielberg dans The Fabelmans, c’est au tour de Sam Mendes de se livrer à cet exercice. Empire of Light prend pour cadre le cinéma d’une station balnéaire de la côte Sud de l’Angleterre au moment de l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher. Le personnel est dévoué à sa tâche, tandis que le propriétaire entretient une relation extra-conjugale purement sexuelle avec la directrice. C’est dans ce cadre un peu vieillot que débarque un nouvel employé de couleur soucieux de quitter cette bourgade provinciale à la merci d’une bande de skinheads dont la crise économique a attisé le racisme et la xénophobie… Le cinéma que prend pour cadre Sam Mendes est l’un de ces temples rescapés de l’âge d’or dont une partie désaffectée témoigne de la grandeur passée. Son personnel s’acharne à préserver sa réputation en accomplissant son devoir avec une conscience exemplaire. Au point d’accueillir l’une de ces Royal Performances qu’honorent de leur présence certains représentants de la Couronne britannique. Ce temple du cinéma, Mendes le célèbre comme un véritable mausolée où subsiste un culte en voie de disparition qui attire de moins en moins de pratiquants.





Empire of Light est aussi un formidable portrait de femme. L’employée exemplaire que campe Olivia Colman a voué son existence à ce lieu, sans même avoir la curiosité de regarder les films qui y sont programmés. Elle préfère les rêver et les imaginer à travers les affiches et les photos d’exploitation qui décorent les lieux et attirent les spectateurs. Sa vie affective est également un échec qui la ronge, entre sa soumission sexuelle à son patron qui s’avère sans issue et cette passion silencieuse qu’elle voue au nouvel employé. Un rôle particulièrement complexe qui trouve en Olivia Colman une sorte d’interprète idéale, femme mûre solitaire en proie à une extrême fragilité psychologique et à une détresse existentielle poignante qui n’a aucun secours à espérer d’une famille réduite à sa plus simple expression ni de ses maigres relations. Au-delà de son amour du cinéma, Sam Mendes reconstitue avec panache ce tournant des années 80 au cours duquel l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher a fait planer une menace concrète sur le Royaume-Uni en dévastant son paysage économique sous les coups de boutoir d’un libéralisme décomplexé qui a entraîné des ravages humains irrémédiables. Avec dans le rétroviseur le passé glorieux que symbolise ce temple du cinéma lui aussi menacé par la télévision et la vidéo.

Jean-Philippe Guerand






Colin Firth et Olivia Colman

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