Till Film américain de Chinonye Chukwu (2022), avec Danielle Deadwyler, Jalyn Hall, Whoopi Goldberg, Haley Bennett, Frankie Falson, Jayme Lawson, Kevin Carroll, Sean Patrick Thomas, John Douglas Thompson, Roger Guenveur Smith, Tosin Cole, Enoch King… 2h12. Sortie le 8 février 2023.
Sean Patrick Thomas et Danielle Deadwyler
En 1955, Mamie Till-Mobley fait figure de modèle par sa réussite exemplaire dans la société américaine encore très ségrégationniste. Alors, quand le fils unique de cette veuve qui est l’unique salariée de couleur de l’US Air Force à Chicago, est lynché dans le Mississippi où il passait des vacances en famille, elle décide de se battre pour faire éclater la vérité et bouger les institutions. Sous-titré en France “Le visage d’une révolution”, Emmett Till fait partie de ces œuvres démonstratives mais nécessaires qui confrontent l’Amérique à ses vieux démons, au moment où les bavures policières dont sont victimes les citoyens de couleur témoignent de la persistance tragique d’un racisme endémique et dévastateur. Il faudra sans doute encore bien des films sur cette thématique pour que la société américaine parvienne enfin à s’apaiser une fois pour toute, même si les antagonismes n’ont sans doute jamais été aussi prononcés depuis la Guerre de Sécession.
Danielle Deadwyler et Whoopi Goldberg
Avec ce pamphlet puissant et démonstratif, Chinonye Chukwu appuie là où ça fait mal et s’inscrit dans la lignée d’un autre film situé quant à lui en 1962, Green Book : Sur les routes du Sud (2018) de Peter Farrelly, davantage que dans celle du plus édifiant mais tout aussi authentique Les figures de l’ombre (2016) de Theodore Melfi qui célébrait la contribution méconnue des calculatrices afro-américaines aux programmes aéronautiques et spatiaux de la Nasa dès le début des années 60 avant de voir leur rôle occulté par les historiens. Peu à peu, le cinéma américain fait ainsi émerger une réalité alternative qui reste d’une brûlante actualité. Emmett Till fait partie de ces œuvres délibérément démonstratives qui jouent sur les ressorts les plus élémentaires du cinéma hollywoodien pour faire passer l’un de ces fameux messages que John Ford préconisait de confier plus volontiers à la poste qu’au cinéma. Reste que dans un pays plus fracturé que jamais, savoir d’où l’on vient aide plus que jamais à comprendre où l’on va. C’est là la vertu cardinale de ce film transcendé par l’interprétation de Danielle Deadwyler, déjà remarquée pour sa composition dans un western diffusé sur Netflix, The Harder They Fall (2021).
Danielle Deadwyler, Jalyn Hall
Emmett Till fait partie de ces œuvres nécessaires qui viennent rappeler à l’Amérique qu’elle est loin d’avoir réglé ses comptes avec ses vieux démons ségrégationnistes. On pourra reprocher au film d’appuyer là où ça fait mal, mais cette vulgarisation est nécessaire pour atteindre le cœur de la population la moins éduquée, celle qui n’a jamais admis les avancées légitimes obtenues par la lutte en faveur des droits civiques, ni même sans doute le principe de la société multiraciale américaine que les optimistes qualifient de melting pot, là où les autres n’y voient qu’une salade de fruits. Ce qui apparaît pour le peuple américain comme un débat actuel est pour nous citoyens de la vieille Europe un débat d’un autre âge. Il ne faudrait pas pour autant en arriver à négliger ce film nécessaire sinon indispensable qui a le mérite de témoigner d’une époque pas si lointaine où l’égalité raciale constituait encore un leurre de vérité. Au risque de répéter pour mettre en garde une nouvelle génération contre des vieux démons qui ont décidément la peau dure et ne sont qu’assoupis.
Jean-Philippe Guerand
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