Film hispano-helvéto-français d’Elena López Riera (2022), avec Luna Pamies, Bárbara Lennie, Nieve de Medina, Alberto Olmo, Irene Pellicer, Nayara Garcia, Lidia Maria Canovas, Pascual Valero… 1h44. Sortie le 1er mars 2023.
Luna Pamies et Bárbara Lennie
En plein été dans un village espagnol de la région d’Alicante, la jeunesse locale fraie avec insouciance. Jusqu’au moment où les éléments se déchaînent… De cet argument qui pourrait sembler d’une minceur insigne, Elena López Riera tire une authentique tragédie. Un portrait de groupe avec drame hanté par une légende séculaire selon laquelle les crues du fleuve local emportent les femmes dans sa furie dévastatrice. On sait que Gaston Bachelard a naguère écrit un ouvrage majeur intitulé “L’eau et les rêves” (1942) dans lequel il se laissait aller en pleine guerre à des divagations autour de cet élément qui lui était si cher. Ce film s’attache à une nature que le comportement des hommes a poussé à se révolter sinon à se venger. En l’occurrence, il prend pour cadre une région victime d’une sécheresse à laquelle l’agriculture intensive a tenté de remédier en imposant à la nature un traitement de choc artificiel. Avec en filigrane un rapport mystique avec l’eau qui résonne comme une malédiction dirigée contre les femmes. Bien malin qui pourrait classer sous une étiquette satisfaisante cette étude de mœurs dont l’insouciance illusoire n’est entretenue que comme le prélude à un déchaînement inéluctable des éléments.
Nieve de Medina et Luna Pamies
Elena López Riera place son premier long métrage sous le signe d’une légende orale que lui a rapporté sa propre grand-mère : celle d’un lieu sous la menace séculaire d’une inondation récurrente et imprévisible. Une véritable malédiction qui souligne que la nature demeure plus puissante que l’humanité et que nous restons soumis à la puissance occulte des éléments. Avec en filigrane le poids de la superstition que n’ont fait qu’accuser les catastrophes passées. Tout l’intérêt d’El agua consiste à aborder ce sujet dans le cadre d’un pur film d’auteur. Il n’y a pas encore si longtemps, une inondation ne pouvait être filmée que dans le cadre d’un film spectaculaire, généralement hollywoodien, en raison des moyens disproportionnés que nécessitait sa reconstitution. Le numérique et la recrudescence des logiciels de confection d’effets spéciaux a totalement bouleversé a donne en mettant désormais à la disposition des productions les plus modestes de nouveaux moyens de concrétiser leurs ambitions. Quitte à puiser aussi parmi les images filmées sur le vif par des téléphones portables qui ancrent cet événement dans une réalité palpable et contrastent avec ses allusions ésotériques. C’est le cas ici où l’illusion saisissante est au service d’un propos très fort et d’une mise en scène qui donne à réfléchir en mettant le spectaculaire au service d’un propos philosophique en qui certains discerneront certainement une approche singulière du féminisme associé à une malédiction ancestrale. Voici un film d’auteur intelligent qui flatte les sens sans esbroufe, mais avec une ambition peu commune.
Jean-Philippe Guerand
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