A Tale of Shemroom Film irano-franco-germano-italien d’Emad Aleebrahim Dehkordi (2022), avec Iman Sayad Borhani, Payar Allahyari, Masoumeh Beigi, Behzad Dorani… 1h42. Sortie le 22 février 2023.
Iman Sayad Borhani et Payar Allahyari
Le film noir a cette faculté de s’adapter à tous les milieux et à peu près toutes les sociétés. À cette réserve près que sa façon de plonger parmi les pires turpitudes cache le plus souvent une critique sociale virulente. On pourra donc s’étonner (à juste titre) de découvrir que le premier long métrage du réalisateur iranien Emad Aleebrahim Dehkordi se déroule à Téhéran, alors que son auteur vit à Paris depuis plus d’une dizaine d’années. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse… Comme Les nuits de Mashhad, présenté au dernier festival de Cannes, Chevalier noir est l’œuvre d’un exilé qui entend témoigner d’une société que le pouvoir des Mollahs a verrouillée au point d’en interdire toute représentation un tant soit peu réaliste. Une contrainte qui a fait germer dans l’esprit des cinéastes locaux accrochés à leur patrie coûte que coûte des modes de représentation alternatifs, à l’instar du dernier opus en date de Jafar Panahi, Aucun ours, et de cet art des scènes tournées à l’intérieur d’une voiture (et post-synchronisées) qui constitue un modèle de contournement de la censure éprouvé. C’est ce qui explique le cheminement atypique de ce film qui s’attache à deux frères que leur fréquentation de la jeunesse dorée va entraîner dans une spirale incontrôlée. Un sujet universel qui pourrait aussi bien se dérouler à New York, Londres ou Paris, mais qui ternit les idéaux archaïques de la République islamique.
Iman Sayad Borhani et Payar Allahyari
Chevalier noir est un film porteur de promesses qui révèle un cinéaste sensible aux atmosphères et perméable aux effets du réel. Le tout au service d’une fureur de vivre qui s’inscrit dans des décors urbains. Il a nourri son script de ses séjours espacés dans son pays natal, mais en a structuré le scénario de retour en France. Comme s’il avait souhaité jouer de ce recul pour se ménager une plus grande marge de manœuvre, tout en le retouchant à chacune de ses visites, tant il voyait son quartier se transformer sous ses yeux. Ce film aux élans de tragédie antique s’est en outre appuyé sur deux contraintes majeures que le cinéaste a détournées à son profit : d’abord, le confinement provoqué par la pandémie de Covid-19 qui donne parfois aux quartiers de Nord de Téhéran une allure de cité fantomatique, ensuite le poids omniprésent de la censure qui rendait la représentation de la jeunesse problématique et imposait des contraintes draconiennes pour celle des femmes en extérieur. C’est en trouvant des moyens de transgresser ces tabous qu’Emad Aleebrahim Dehkordi est parvenu à imposer son propre regard en signant un hymne universel à la liberté qui revêt dans le contexte actuel une singulière valeur ajoutée en qui certains ne manqueront pas de discerner une œuvre prophétique, selon la tournure que prendra la révolte des femmes iraniennes dans les temps à venir. C’est tel quel un acte noble de résistance hors-sol et un formidable hymne à la liberté individuelle.
Jean-Philippe Guerand
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