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“Animals” de Nabil Ben Yadir



Film belge de Nabil Ben Yadir (2021), avec Soufiane Chilah, Gianni Guettaf, Vincent Overath, Lionel Maisin, Serkan Sancak, Anne-Marie Loop, Amid Chakir, Salim Talbi, Raphaël Lamaassab, Camille Freychet, Madeleine Baudot… 1h32. Sortie le 15 février 2023.



Soufiane Chilah



Voici un film qui ne cherche jamais à être aimable et ne ménage vraiment aucun de ses protagonistes. Parce qu’il s’attache à ce que l’humanité compte sans doute de plus médiocre. Des jeunes gens dépourvus d’idéal et de sens moral qui se laissent aller le temps d’une soirée à humilier un pauvre type sans doute guère plus évolué qu’eux qui a le tort à leurs yeux d’afficher son homosexualité, tout en la dissimulant depuis toujours à son entourage proche. Tout cela parce que le strict respect de la religion musulmane interdit d’envisager une telle éventualité, sous l’effet de cette même hypocrisie anachronique qui incite les filles à s’adonner à la sodomie afin de rester vierges jusqu’à leur mariage. Ce silence va toutefois mener cet agneau sacrificiel en enfer… Ce calvaire a beau être tiré d’une histoire vraie survenue en Belgique en 2012, on ne peut endurer sa vision que comme une sorte de supplice. Nabil Ben Yadir expose les faits sans chercher à les enjoliver, ni même à flatter son art de la mise en scène. Ce qui commence comme une comédie sentimentale d’aujourd’hui tourne au cauchemar sinon même à la mise à mort, dans un déchaînement de violence insoutenable qui reflète autant de bêtise que de bestialité et montre le côté le plus obscur de l’humanité. À l’instar de l’adjectif masculin pluriel qu’il prend pour titre, Animals décrit des êtres primaires qui réagissent exclusivement à l’instinct, sans jamais se laisser guider par une quelconque réflexion dont ils sont sans doute incapables.



Soufiane Chilah



Révélé par Les barons (2009), une comédie mettant en scène des glandeurs de la banlieue de Bruxelles dont la tonalité singulière lui a valu de se voir confier les commandes de La marche (2013), une fresque chorale en forme de Feel Good Movie, Nabil Ben Yadir s’est ensuite essayé au polar urbain avec Angle mort (2017) avant de noircir encore le tableau aujourd’hui dans une descente aux enfers dépourvue de complaisance qui montre le côté obscur d’une société européenne rattrapée par ses pires démons, où l’homophobie, le racisme et l’obscurantisme sont capable de pousser au crime des individus désœuvrés que leur instinct grégaire peut inciter à transformer en d’authentiques monstres dans une effroyable escalade de violence. Le spectacle est parfois insoutenable, mais jamais gratuit. Il débute par un anniversaire et se clôt par un mariage. Comme pour l'inscrire dans une certaine normalité. On en sort aussi dégoûté que bouleversé, avec le sentiment étrange qu’on pourrait ressentir si l’on venait d’assister à un lynchage sans intervenir et que l’on devait continuer à vivre avec le souvenir obsédant de ce crime gratuit perpétré sous nos yeux sans que nous ayons réagi. Animals est un film qui nous secoue et nous malmène sans la moindre complaisance, en nous contraignant à nous questionner sur notre responsabilité individuelle vis-à-vis d’une société capable de transformer certains de ses membres en barbares si l’occasion s’en présente. Un traitement de choc à très haute tension qui nous laisse groggy sinon anéanti.

Jean-Philippe Guerand







Gianni Guettaf

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