Accéder au contenu principal

“Youssef Salem a du succès” de Baya Kasmi



Film français de Baya Kasmi (2022), avec Ramzy Bedia, Noémie Lvovsky, Abbes Zahmani, Tassadit Mandi, Melha Bedia, Caroline Guiela Nguyen, Oussama Kheddam, Lyes Salem, Vimalala Pons, Norbert Ferrer… 1h37. Sortie le 18 janvier 2023.



Ramzy Bedia et Noémie Lvovsky



L’autofiction est devenue un genre à part entière, en littérature comme au cinéma. Au point qu’on ne compte plus aujourd’hui les procès intentés par de simples quidams, qui auraient aimé le rester, à des auteurs qui ont cru légitime de faire leur miel de ce qu’ils avaient sous les yeux au quotidien. C’est à cette problématique que s’attaque Baya Kasmi dans son deuxième long métrage en solo après Je suis à vous tout de suite (2016). La complice de Michel Leclerc muscle son scénario en s’interrogeant avec un humour de façade sur la responsabilité morale de l’artiste quand il s’inspire du destin des autres. Un sujet dans l’air du temps auquel elle s’attaque, en racontant comment ce que l’échec condamne à l’oubli peut revêtir des proportions démesurées lorsque le public est au rendez-vous. En l’occurrence, ici, notre héros est un quadragénaire qui semble condamné à croupir parmi le bataillon des soldats inconnus de la littérature et a dépassé la date de péremption au-delà de laquelle il est théoriquement exclu de devenir riche ou tout au moins célèbre. À cette nuance près que Youssef Salem fait en quelque sorte figure d’exception qui confirme la règle, mais n'est pas nécessairement paré pour assumer son nouveau statut vis à vis des siens devenus des personnages de roman malgré eux…



Ramzy Bedia et Melha Bedia



Le personnage campé par Ramzy Bedia fait partie de ces éternels losers qui attirent la sympathie par leurs maladresses et une certaine inadaptation au monde qui les entoure. À ce point que ses proches ont fini par s’habituer à ce que ses ambitions littéraires passent inaperçues malgré ses efforts louables pour se faire remarquer et des encouragements aux allures de consolation attendrie et de sincère compassion. Alors quand la notoriété lui tombe dessus, c’est l’ensemble de cette famille méditerranéenne qui en supporte les conséquences avec plus ou moins de bienveillance et en tout cas une certaine circonspection, tant plus aucun de ses membres n'y croyait encore. Une lame de fond aux effets dévastateurs qui va ébranler son “miraculé” au plus profond de ses certitudes d’écrivain et transformer le héros de la famille en oracle malgré lui. Baya Kasmi réussit la prouesse de revêtir des signes extérieurs de la comédie un sujet ô combien sérieux qui la concerne en l’occurrence au premier chef en qualité de scénariste inspirée elle aussi volontiers par son entourage. Avec en prime un précieux complice en la personne de Ramzy Bedia, formidable en colosse maladroit taquiné par la muse qui se croit enfin arrivé lorsqu’il doit acquitter le prix exorbitant de sa gloire aussi tardive qu’imprévue, tant elle s’est fait désirer. Un conte moral savoureux peuplé de personnages attachants et de non-dits lourds de sens sur la grandeur et les servitudes de la notoriété.

Jean-Philippe Guerand







Abbes Zahmani et Tassadit Mandi

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract