Seishin 0 Documentaire nippo-américain de Kazuhiro Sôda (2020), avec Masatomo Yamamoto, Yoshiko Yamamoto… 1h59. Sortie le 4 janvier 2023.
Masatomo Yamamoto
Il y a des films comme ça qui vous prennent par surprise en vous invitant à accomplir un petit bonhomme de chemin en compagnie d’inconnus dont vous ignoriez jusqu’alors l’existence. Jusqu’ici inconnu en France, le réalisateur japonais Kazuhiro Sôda a entrepris de dresser le portrait d’un pionnier de la psychiatrie au moment même où ce vieil homme affable décide (tardivement) de mettre un terme à son activité professionnelle et doit faire part de sa décision à des patients pour lesquels cette retraite annoncée constitue un déchirement à bien des égards, tant ils ont tissé des relations étroites avec ce médecin attentionné qui les connaît mieux que personne. Une démarche d’observation régie par dix commandements qui semblent aller à l’encontre de la démarche suivie par ses confrères… Comme s’il s’agissait d’une formule magique destinée à établir un rapport particulier du réalisateur avec ses protagonistes en les filmant dans le cadre imposé d’une sorte de liberté surveillée.
1. Tu ne feras aucune recherche sur le sujet du film.
2. Tu ne feras aucun entretien préalable au tournage.
3. Tu n'écriras pas de scénario.
4. Tu filmeras seul.
5. Tu filmeras aussi longtemps que possible.
6. Tu filmeras de petits espaces en profondeur.
7. Tu ne décideras pas du thème avant le montage.
8. Tu n'utiliseras pas de narration, de surtitres ni de musique.
9. Tu privilégieras toujours le plan long.
10. Tu t'autofinanceras.
Masatomo Yamamoto (à droite)
À l’usage, ces vœux pieux engendrent un effet de réalité augmentée et renouvellent un genre dont on croyait que Fred Wiseman l’avait poussé dans ses ultimes retranchements en laissant un pouvoir absolu à l’image et au son. Appliquant sa doxa qui consiste à s’intéresser « aux choses qui risquent de disparaître », pour reprendre ses propres mots, Kazuhiro Sôda s’appuie sur un moment capital dans la vie du professeur Yamamoto afin de montrer le lien étroit qu’il a tissé avec ses patients, avant de se concentrer sur le thérapeute et son épouse, couple âgé qu’on jurerait exfiltré d’un film de Yasujirō Ozu. Affleure alors une complicité dont on réalise qu’elle a contribué dans une large mesure à pallier aux défaillances des institutions japonaises dans le domaine délicat de l’accompagnement des maladies mentales. Le spectacle final de ce couple de personnes âgées cheminant de conserve confère à cette étude de mœurs délicate la puissance d’une thérapie dont le médecin devient le sujet même, au travers du vertige de l’inconnu dans lequel le précipite sa décision de cesser ses activités. Avec les conséquences que cela implique pour ses patients les plus fragiles. Une morale plus tendre que cynique qui met ce personnage en perspective pour la première fois de sa vie dévouée toute entière aux autres dont on découvre que son épouse a été et restera le soutien indispensable. Un constat bouleversant qui a valu à Professeur Yamamoto part à la retraite le trophée du meilleur documentaire à la Berlinale et de la Montgolfière d’or au festival des Trois Continents de Nantes.
Jean-Philippe Guerand
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