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“Maîtres” de Sven de Pauw



Documentaire français de Sven de Pauw (2022), avec Christine Mengus, Nohra Boukara, Audrey Scarinoff… 1h37. Sortie le 1er février 2023.





Il est des métiers avec lesquels on a parfois l’impression que le cinéma nous a aidé à nous familiariser. Parmi ces personnages figurent en bonne place les artisans de la justice, ceux auxquels la fiction donne volontiers le beau rôle et dont la parole épargne parfois des innocents, mais concourt aussi à punir des coupables qui ne le sont pas toujours vraiment. Rien de tel qu’une erreur judiciaire pour nourrir l’imagination. La réalité est pourtant plus prosaïque. C’est le travail de ces soutiers de l’ombre qu’a choisi de filmer au quotidien le documentariste Swen de Pauw, en s’installant dans un cabinet d’avocates strasbourgeois spécialisé en droit des étrangers qui ne désemplit pas. Là, il a laissé tourner ses caméras et le résultat s’avère saisissant. Maîtres évoque irrésistiblement deux films de référence dans ce domaine : Délits flagrants (1994) de Raymond Depardon et le fameux Ni juge, ni soumise (2017) réalisé par les transfuges de l’émission belge “Strip Tease”, Jean Libon et Yves Hinant. L’individu y est confronté à diverses facettes de la machine judiciaire et à cette arme redoutable que constitue le langage pour celles et ceux qui savent en user opportunément. Avec des moments tragiques et d’autres qui frisent le comique de situation, face à un système parfois kafkaïen sinon ubuesque où l’individu réduit à sa plus simple expression est menacé de se faire broyer.





Sven de Pauw a confiance en ses images. Il a compris par ailleurs que ces inconnus auditionnés par les avocates Christine Mengus, Nohra Boukara et Audrey Scarinoff viennent les consulter pour éviter de se retrouver broyés par la machine judiciaire. L’obstacle de la langue s’avère en outre particulièrement pénalisant dans un univers régi à ce point par l’éloquence. Dès lors, le réalisateur adopte la seule posture qui s’impose. Comme le maître du genre, l’américain Frederick Wiseman, il se garde bien de prendre la parole ou d’enrober ses images du moindre artifice qui risquerait d’en atténuer l’éloquence. Ce que montre en premier lieu ce film, c’est que bien que nous soyons tous supposés être libres et égaux face à la loi, ses serviteurs sont les seuls à posséder ses codes de survie en milieu hostile. Dans sa forme, son propos se prête d’autant mieux au cinéma que ces confrontations entre les avocates et leurs clients épousent naturellement l’une des figures de style les plus usitées dans le cinéma : le fameux champ-contrechamp. Dès lors, la mise en scène s’organise sans le moindre artifice et il émane de ce défilé ininterrompu de situations aussi tragiques qu’absurdes une sensation d’impuissance et de répétition infinie, face à ce qui ne constitue en fait qu’un pâle reflet de toute la misère du monde. Le moindre des mérites de ce constat sans appel consiste à éviter de diriger le regard du spectateur, sans jamais tenter d’influencer son libre-arbitre. C’est tout à l’honneur de ce documentaire de ne juger personne.

Jean-Philippe Guerand







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