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“L’immensitá” d’Emanuele Crialese



Film italo-français d’Emanuele Crialese (2022), avec Penélope Cruz, Vincenzo Amato, Luana Giuliani, Patrizio Francioni, Alvia Reale, Penelope Nieto Conti, India Santella, Maria Chiara Goretti, Laura Nardi, Valentina Cenni… 1h37. Sortie le 11 janvier 2023.



Luana Giuliani et Penélope Cruz



Personnalité résolument atypique au sein d’un cinéma transalpin qui a perdu peu à peu son unité avec le déclin de la comédie italienne et la disparition de ses plus grands maîtres, Emanuele Crialese s’est imposé avec le succès surprise de Respiro, il y a tout juste vingt ans. C’est à une comédienne espagnole Penélope Cruz qu’il confie aujourd’hui le rôle principal de son cinquième long métrage : une mère des années 70 qui doit sans doute beaucoup à la sienne et noie son désarroi conjugal en se réfugiant auprès de ses trois enfants. L’immensitá est une magistrale immersion dans une Rome faussement insouciante qui s’abrutit autant des signes extérieurs trompeurs de la prospérité revenue que de sa splendeur séculaire. C’est par les seuls artifices du cinéma que Crialese transcende ce récit qui aurait pu donner lieu à un mélodrame sordide, mais se trouve transcendé ici par la magie de l’écran large et de ces tubes de variétés qui ont marqué leur époque. Un point de vue qui épouse l’état d’esprit de son personnage principal, cette femme au foyer entièrement dépendante d’un mari autoritaire qui se réfugie auprès de ce qu’elle a de plus cher pour subir sa condition. Son enfance, le cinéaste la transcende avec les armes qu’il s’est assignées comme moyen d’expression. De ce sujet douloureux qu’il a longtemps reporté au profit de projets moins intimes, il tire un magnifique exutoire qui assume les codes du mélodrame et se permet même d’en jouer avec un lyrisme assumé.


Patrizio Francioni, Luana Giuliani

et Maria Chiara Goretti



Crialese fait vibrer sa reconstitution d’une précision maniaque au diapason de quelques signes avant-coureurs de notre époque. À commencer par cette gamine aux prises avec son identité qui préfigure cette révolution sexuelle caractérisée aujourd’hui par le phénomène actuel des transitions. La mise en scène trouve toujours la juste distance pour traiter de cette famille dysfonctionnelle déchirée entre un Pater familias autoritaire et une épouse qui s’étiole, en proie à une dépression profonde non soignée. Le film constitue en cela une reconstitution très soignée d’une époque où la nostalgie occupait une place de choix. Le film est en outre un magnifique hommage à la splendeur de Penélope Cruz, mère courage idéalisée par ses enfants qu’elle protège et encourage à partager sa passion de midinette pour des émissions de variétés auxquelles elle pourrait participer et où ils l’imaginent poussant la chansonnette sous les feux de la rampe. C’est dans les séquences où la mise en scène adopte le regard fantasmé de ces gamins que L’immensitá trouve ses moments les plus inspirés, l’émotion qui s’en dégage évoquant celle suscitée naguère par un autre classique du cinéma italien, L’incompris (1967), également consacré aux tourments et aux malentendus de l’enfance. À cette différence près que la figure centrale est précisément ici cette mère dont la disparition hante littéralement le film de Luigi Comencini.

Jean-Philippe Guerand










Patrizio Francioni, Luana Giuliani

et Maria Chiara Goretti

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