Film franco-italo-germano-russe de Pietro Marcello (2022), avec Raphaël Thiéry, Juliette Jouan, Louis Garrel, Noémie Lvovsky, Yolande Moreau, Ernst Umhauer, François Négret, Natascha Wiese, Bernard Blancan… 1h40. Sortie le 11 janvier 2023.
Raphaël Thiéry et Juliette Jouan
Un soldat de retour du front de la Grande Guerre se retrouve confronté à une fille qu’il va devoir élever en solitaire et pour laquelle il va se sacrifier. Un sujet inspiré des “Voiles écarlates” du romancier russe pacifiste Alexandre Grin que le réalisateur italien Pietro Marcello transpose dans le Nord de la France pendant l’Entre-Deux-Guerres. Un métissage culturel qui produit un résultat passionnant sur le mode assumé du mélodrame, avec ces archétypes traditionnels que représentent un père célibataire, une jeune femme superstitieuse et un séduisant aviateur. Le réalisateur de Martin Eden témoigne d’un sens du lyrisme hors du commun et rassemble pour le servir trois comédiens résolument atypiques : Raphaël Thiéry dont le physique massif sert son personnage de taiseux, colosse aux pieds d’argile qui n'est pas sans évoquer la personnalité de Jean Valjean, Juliette Jouan dont cette fille prodigue est le premier rôle au cinéma et Louis Garrel en prince charmant tombé du ciel à la manière d’un ange déchu. Un casting aussi séduisant qu’anticonformiste qui confère un précieux supplément d’âme à ces protagonistes en proie à une époque aussi indécise que troublée où les vivants devaient survivre avec le souvenir de leurs chers disparus, mais aussi les gueules cassées, les ailes brisées et les tuberculeux. Comme des spectres miraculés titubant parmi des hordes de fantômes.
Raphaël Thiéry
L’envol séduit d’abord par son refus des modes. Pour passer incessamment de la fiction au documentaire, Pietro Marcello a appris à se méfier des artifices et du clinquant. Il possède par ailleurs une fibre sociale profonde qui s’exprime ici par l’attention particulière qu’il accorde à ses personnages, sans jamais céder à la tentation qui consisterait à les réduire à des stéréotypes désincarnés. Il émane de cette étude de mœurs provinciale une émotion contenue qui passe par une observation attentive du quotidien et une description très réaliste de la rancune sourde qui pouvait polluer une terre gorgée du sang des guerriers où une rancune sourde creusait un fossé d’incompréhension entre les survivants du carnage et “ceux de l’arrière”. C’est toute la noblesse de ce film élégant et solennel de restituer avec justesse l’état d’esprit qui régnait à l’époque, avec les nouvelles désillusions semées par la crise de 29, loin des Années Folles éphémères dont avaient pu jouir en toute inconscience les habitants des grandes villes dans une insouciance égoïste. Ce cinéma-là a la capacité, sinon de changer le monde, au moins de le montrer tel qu’ont pu le connaître ses contemporains. Avec ses mentalités, ses utopies et une fibre sociale qui possédait encore un sens véritable. C’est tout à l’honneur de son incorrigible idéaliste de metteur en scène, humaniste et universaliste dans l’âme, qui, éloigné de sa zone de confort géographique, professe des illusions universelles avec une rare générosité.
Jean-Philippe Guerand
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