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“La ligne” d’Ursula Meier



Film helvéto-franco-belge d’Ursula Meier (2022), avec Stéphanie Blanchoud, Valeria Bruni Tedeschi, Eli Spagnolo, India Hair, Dali Benssalah, Benjamin Biolay, Eric Ruf, Thomas Wiesel, Jean-François Stévenin, Louis Gence, Ray LaMontagne… 1h43. Sortie le 11 janvier 2023.



Valeria Bruni Tedeschi et Stéphanie Blanchoud



La réalisatrice Ursula Meier a de la suite dans les idées et une prédilection manifeste pour les familles dysfonctionnelles comme pour les rapports humains rugueux. Après Home (2008) et L’enfant d’en haut (2012), elle s’attache dans son nouveau long métrage à un gynécée explosif dominé par une mère foldingue qui règne en despote sur ses trois filles, mais ne s’est visiblement jamais remise de voir sa carrière de pianiste sombrer dans l’oubli. Le film débute par une scène au ralenti somptueusement cadrée au format 2.35 par Agnès Godard, au cours de laquelle tout ce joli monde s’affronte dans une chorégraphie qui pourrait sembler burlesque si elle ne témoignait pas d‘une violence terrible. La responsable de ce règlement de comptes est l’aînée, musicienne elle aussi, mais sur un tout autre registre, qui a osé défier sa mère jusqu’à commettre l’irréparable en altérant ses capacités auditives. Dans sa grande magnanimité, la justice contraint la fille indigne à une mesure d’éloignement qui n’est qu’un sursis avant un éventuel procès. Il lui est notifié une injonction de ne pas pénétrer dans un périmètre situé à moins de cent mètres du domicile familial. Dès lors, un étrange ballet se met en place à l’extérieur de ce no man’s land délimité par une ligne que la benjamine a jugé utile de peindre sur le sol.



Stéphanie Blanchoud



La ligne porte un regard doux amer sur la folie dans l’une de ses manifestations les plus sournoises et met en évidence le comportement toxique d’une famille au sein de laquelle les hommes ne sont relégués qu’à des tâches subalternes. Comme les témoins au rabais de conflits endémiques. Jusqu’à la fille cadette enceinte dont les jumelles perpétueront cette dynastie familiale en vase clos. Ursula Meier se garde bien de ménager ses protagonistes en soulignant combien une personnalité toxique peut dévaster son entourage immédiat et transformer un cocon en champ de bataille. Ce propos, la réalisatrice le sert avec le concours de quatre comédiennes prodigieuses : Valeria Bruni Tedeschi dans un emploi familier qu’elle a décliné de l’humour le plus fou au tragique le plus sombre et dont elle fournit ici un compromis tout aussi redoutable. Ursula Meier capte d’ailleurs son regard fuyant comme s’il s’agissait d’une arme léthale, face à un entourage qui a toujours subi ses frasques sans réagir, de peur de subir son ire. Avec face à elle une comédienne exceptionnelle dans le rôle ô combien ingrat de celle par qui le scandale arrive, la Suissesse Stéphanie Blanchoud, chanteuse et dramaturge également ici coscénariste, déjà remarquée dans la série télévisée “Ennemi public”. Elle s’impose par un mélange de violence brute et de retenue impressionnante face à des partenaires aussi inspirés qu’India Hair, Benjamin Biolay et l’impressionnante Elli Spagnolo qui porte son regard d’enfant sur ce paysage humain dévasté.

Jean-Philippe Guerand







Benjamin Biolay et Stéphanie Blanchoud

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