Film d'animation franco-italo-suisso-belgo-portugais d’Alain Ughetto (2022), avec les voix d’Ariane Ascaride, Alain Ughetto… 1h10. Sortie le 25 janvier 2023.
Il y a d’innombrables façons de parler des incessantes migrations qui suivent le tempo de notre monde en fusion. Récemment encore, Émilie Frêche avec Les engagés et Guillaume Renusson dans Les survivants ont opté pour le mode du thriller sociétal, là où Sarah Leonor s’est laissé aller quant à elle à une divagation poétique accusatrice dans Ceux de la nuit. Alain Ughetto a choisi pour sa part d’évoquer le destin de ses aïeux en revenant aux origines du cinéma d’animation dont il est un expert renommé, même s’il ne signe là que son premier long métrage. Interdit aux chiens et aux Italiens est un formidable hommage à cette vague humaine transalpine qui a déferlé dans le Sud de la France, à travers le périple et la difficile intégration d’un couple venu d’un village piémontais à l’orée du XXe siècle et de sa lente intégration à un peuple français pas toujours très accueillant. Une évocation qui passe par le dialogue que le cinéaste regrette de n’avoir pas eu avec sa grand-mère, disparue alors qu’il n’avait que 12 ans et pas encore la maturité suffisante pour la questionner. Il a donc dû nourrir lui-même ce récit épique et parfois fantasmé dont la mémoire puise parmi de multiples souvenirs familiaux, qu’il s’agisse de photographies ou de divers extraits de correspondance.
La rancœur, les remords et les regrets ne nourrissent ici aucun ressentiment, mais plutôt une réflexion pleine de sagesse sur l’état du monde, ainsi que la misère et les désillusions qui ont incité tant d’êtres humains à sacrifier leurs racines d’ans l’espoir d’une vie meilleure. La technique utilisée par Alain Ughetto contribue à donner un supplément d’âme, de tendresse et d’humour à cette chronique universelle. C’est en retournant dans le village d’Ughettera dont son patronyme porte les stigmates que le réalisateur a entrepris ce devoir de mémoire intime il y a neuf ans, sans savoir exactement où le mèneraient ses pérégrinations. Tout a commencé par la confection méticuleuse de trois figurines de quelques centimètres à l’effigie de Cesira, Luigi et Vincent, les grands-parents et le propre père du réalisateur. Avec en écho le dialogue imaginaire qui se noue entre le créateur et ses ancêtres, témoins d’une époque où l’accès à certains commerces “interdit aux chiens et aux Italiens”, unis dans une même méfiance empreinte de xénophobie. En reflétant ainsi le présent dans le passé et en s’offrant la coquetterie suprême de dialoguer avec les spectres, Alain Ughetto signe un film universel dont la poésie délicate s’accommode d’un discours très actuel et d’une esthétique d’une rare beauté où l’expressivité sidérante de ces poupées s’inscrit dans des décors d’un réalisme parfois saisissant d’où la moindre once de misérabilisme est exclue. On ne saurait rêver hymne plus vibrant à la tolérance que ce film d’animation magnifique signé par un artiste septuagénaire.
Jean-Philippe Guerand
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