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“Ceux de la nuit” de Sarah Leonor



Documentaire français de Sarah Leonor (2022), avec les voix de Françoise Lebrun, Adrien Michaux, Hovnatan Avedikian, Solène Rigot, Damien Bonnard, Olivier Rabourdin… 1h10. Sortie le 11 janvier 2023.





L’histoire de la migration n’est pas nouvelle. Elle est le fait de mouvements de population consécutifs à des tragédies humaines à répétition. Dans Ceux de la nuit, la réalisatrice Sarah Leonor entend souligner l’inéluctabilité de ce phénomène dont la France affiche tous les stigmates. Ce film d’une facture hybride assumée relève autant du documentaire que de la poésie, en confrontant des documents d’archive avec des images contemporaines de la frontière franco-italienne au col de Montgenèvre, un carrefour stratégique où se jouent certains des enjeux les plus cruciaux de notre monde. Le tout raconté par les voix de quelques comédiens au service d’une juste cause tricotée de bribes de destins anonymes. Contrairement aux Engagés et aux Survivants qui entendaient récemment toucher le grand public en usant des artifices de la fiction voire de l’Escape Game pour le second, Ceux de la nuit épouse la forme d’un poème méditatif qui cherche à comprendre comment autant d’êtres convergent vers cette France considérée comme un havre providentiel par sa longue tradition de terre d’accueil et une position stratégiquement favorable au sein du continent européen. Dix mille invisibles ont transité par ce lieu en quatre ans. Il n’en reste rien ou presque hormis la sépulture d’une martyre de ce parcours du combattant, pourtant parfaitement en règle : Blessing Matthew, noyée dans la Durance. Un nom qui confère à l’une de ces invisibles pourchassés par les forces de l’ordre ce supplément d’âme qu’on refuse systématiquement aux clandestins inhumés dans l’anonymat.



La sépulture de Blessing Matthew



Sarah Leonor se revendique cinéaste mais dénie se comporter en journaliste. Aux interviews traditionnelles, elle préfère substituer la restitution des propos des migrants par des acteurs professionnels. Une distance qui trouve sa place légitime au sein d’un projet à la portée universelle dans lequel la splendeur de la nature percute le besoin qu’ont ceux qui la traversent de se dissimuler en son sein. Avec toutes les problématiques qu’impliquent ces lieux, qu’il s’agisse du tourisme, de la protection de l’environnement ou du repli identitaire dont les militants ont trouvé là un terrain de prédilection où manifester leur xénophobie et contrecarrer l’action des associations humanitaires. La singularité de la démarche de Sarah Leonor repose aussi sur la multiplicité des sources qu’elle entremêle au sein de son récit : des images d’archives, des documentaires institutionnels, mais aussi des home movies en super-huit voire des documents sonores. Le tout aboutit à une sorte de patchwork poétique constitué de bric et de broc d’où affleurent une puissance d’évocation et une force de vie peu communes. Car c’est au-delà du film que se situent ses véritables enjeux : dans les pistes qu’il entrouvre et à travers les destins qu’il esquisse. À nous de nous approprier l’universalité de son propos transposable sous toutes les latitudes.

Jean-Philippe Guerand








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