Accéder au contenu principal

“Babylon” de Damien Chazelle



Film américain de Damien Chazelle (2022), avec Brad Pitt, Margot Robbie, Diego Calva, Jean Smart, Joyan Adepo, Li Jun Li, P. J. Byrne, Lukas Haas, Olivia Hamilton, Max Minghella, Rory Scovel, Katherine Waterston, Tobey Maguire, Flea, Samara Weaving… 3h09. Sortie le 18 janvier 2023.



Margot Robbie



1926. Hollywood est devenu le rendez-vous de tous les aventuriers en quête de fortune et de célébrité. Parmi ceux-ci, Manny Torres, un chicano ambitieux qui croise dans une party décadente tout ce que ce petit monde compte d’ambitieux dont la peu farouche Nellie LaRoy, le trompettiste de jazz Sidney Palmer et la chanteuse chinoise Lady Fay Zhu, sous le regard complice mais quelque peu désabusé du séducteur Jack Conrad qui collectionne les mariages. Reprenant le concept du célèbre “Hollywood Babylone” de Kenneth Anger, Damien Chazelle dresse le portrait saisissant de la fameuse cité des anges qui baigne dans le stupre, le lucre et la débauche, au moment où l’irruption du son vient bousculer la donne, en mettant fin à des carrières et en en lançant d’autres. Un thème presque aussi vieux que le cinéma qui n’a jusqu’ici que rarement porté chance à ceux qui s’y sont attaqués, essentiellement au milieu des années 70, de Wild Party de James Ivory en passant par Gros plan de John Byrum et au Jour du fléau de John Schlesinger.



Brad Pitt



Fort du statut enviable que lui ont procuré ses précédents films, Damien Chazelle tente à son tour de conjurer cette malédiction en évoquant plusieurs destins croisés, sans tomber pour autant dans le piège du “name dropping”. À l’exception du producteur mythique Irving Thalberg, ses protagonistes apparaissent davantage comme des archétypes que comme des figures identifiées. Bien malin qui pourrait trouver leur trace dans l’histoire du cinéma. On reconnaîtra ainsi dans le personnage campé par l’impeccable Brad Pitt un savoureux amalgame de ces séducteurs que furent Douglas Fairbanks et John Gilbert, comme dans la starlette ambitieuse qu’incarne l’éblouissante Margot Robbie une projection étudiée de Jean Harlow et de tant d’autres vedettes éphémères qui se sont brûlées les ailes aux feux follets d’Hollywood sans être exhumées par la postérité. Le réalisateur de Lalaland est visiblement amoureux de son sujet, qu’il fantasme parfois sans vergogne et avec une liberté assumée : les réalisatrices se comptaient sur les doigts d’une main de Django Reinhardt à cette époque et plusieurs films ne se tournaient plus simultanément dans le même décor, comme c’était parfois le cas à la naissance des premiers studios californiens. Partant du principe fordien selon lequel quand la légende est plus belle que la réalité, c’est elle qu’il convient de perpétuer, Chazelle s’autorise toutes les audaces pour reconstituer une époque qui brillait par ses extravagances et une soif de jouissance inextinguible. Comme une invitation au rêve que ses excès transforment parfois en pur cauchemar.



Margot Robbie et Diego Calva



Babylon se réfère par son titre à la réputation sulfureuse des premiers artisans du septième art dont les frasques défrayaient la chronique, à l’image de cet éléphant et de ce crocodile chargés d’ajouter un frisson particulier à certaines soirées de débauche. Le film se réfère également à ce classique de la littérature cinématographique dans lequel Kenneth Anger chronique les pires turpitudes de ce milieu : “Hollywood Babylone” (2013, Éditions Tristram). La puissance de la fresque de Damien Chazelle réside dans son jusqu’au-boutisme assumé et cette idée que la fameuse usine à rêves des pionniers est devenue simultanément le mausolée de ses innombrables soldats inconnus et martyrs oubliés. Avec aussi cet épilogue magistral au cours duquel un spectateur pas comme les autres voit la magie de l’écran sur lequel est projeté Chantons sous la pluie (dont on a aperçu des images de la première version au début du film) se dissoudre dans ses songes et se projeter dans le futur du cinéma. Comme un digest de sa révolution permanente à travers certaines de ses images les plus emblématiques, d’Un chien andalou à Persona et de Tron à Terminator. Difficile de ne pas succomber au charme empoisonné de Babylon lorsqu’on est animé par la passion du cinéma total. C’est précisément celui qu’adule et célèbre ce film foisonnant dans sa globalité en mouvement permanent.

Jean-Philippe Guerand








Margot Robbie

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract